Publié le : mardi 15 novembre 2022

Grandes manœuvres géopolitiques à Astana

AstanaLes dirigeants asiatiques se réunissaient dans la capitale kazakhe Astana mi-octobre. Au menu : un plan de médiation turc dans le conflit ukrainien et, surtout, le renforcement de la CICA, l’équivalent oriental de l’OSCE, alors que les équilibres en vigueur dans la région depuis trente ans volent en éclat. L’occasion pour le Kazakhstan, le pays hôte, d’user de son soft power diplomatique pour avancer ses pions.

La rencontre était attendue, bien que peu d’observateurs en espéraient réellement autre chose qu’une simple photo pour papier glacé. Le jeudi 13 octobre, Vladimir Poutine s’est officiellement entretenu avec son homologue turc, Recep Tayyip Erdogan, à l’occasion d’un sommet organisé à Astana, la capitale du Kazakhstan. Se posant comme un médiateur dans le conflit ukrainien, l’homme fort d’Ankara devait présenter à celui du Kremlin un nouveau plan pour sortir du conflit, après avoir préalablement organisé, en vain, deux premiers rounds de pourparlers au printemps dernier. Jouant d’une position diplomatique supposément « équilibrée » entre les belligérants, M. Erdogan semblait confiant dans sa capacité à infléchir la fuite en avant de Vladimir Poutine : « malgré l’escalade de la violence (…), nous pensons que la porte doit rester ouverte », assurait ainsi un conseiller du président turc avant la rencontre.

Soutenant officiellement l’Ukraine tout en ménageant Moscou, la diplomatie turque ne se faisait, cependant, pas trop d’illusion sur l’issue d’une telle proposition de médiation. L’Ukraine et la Russie « se sont écartées de la vie diplomatique (…), la situation empire et se complique », a ainsi reconnu le ministre turc des Affaires étrangères deux jours avant la rencontre Poutine-Erdogan. Mais le coup valait, sans doute, tout de même la peine d’être joué, d’autant plus que Recep Tayyip Erdogan savait pouvoir compter sur l’appui de l’hôte du sommet en question, Kassym-Jomart Tokayev. Le président du Kazakhstan, voisin direct de la Russie qui demeure pour lui un incontournable partenaire économique et allié sécuritaire, a ainsi refusé de reconnaître l’annexion des territoires ukrainiens occupés par les forces russes, et ne cesse de regretter publiquement les conséquences délétères de la guerre sur l’économie mondiale.

La CICA s’institutionnalise

 Si le face-à-face entre les autocrates turc et russe a, légitimement, attiré sur lui l’attention médiatique, un autre – et bien plus discret – ballet diplomatique se jouait aussi, à Astana, en coulisse. La capitale kazakhstanaise accueillait en effet le sixième sommet de la Conférence pour l’interaction et les mesures de confiance en Asie (CICA), réunion qui fournissait le prétexte à la rencontre Poutine-Erdogan. Lancé en 1992 à l’initiative du Kazakhstan, la CICA est une organisation intergouvernementale qui ambitionne de devenir, sur le continent asiatique, le pendant oriental de l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe). Réunissant, en sus de neuf membres observateurs, 28 États membres couvrant près de 90% de la superficie du continent, la CICA vise à renforcer la paix, la stabilité et la sécurité en Asie, en axant ses travaux autour des questions environnementale, de prolifération nucléaire, de la lutte anti-drogue et anti-terroriste, ou encore commerciale.

Le sommet d’Astana réunissait donc, pour cette sixième édition, les chefs d’État et de gouvernement de onze des membres de la CICA, parmi lesquels le Kazakhstan, bien évidemment, mais aussi la Russie et la Turquie donc, ainsi que l’Iran, le Qatar, le Kirghizistan ou encore l’Ouzbékistan. Après avoir écouté l’intervention, en visioconférence, du secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres – qui a salué le fait que la CICA s’était imposée comme « une plateforme essentielle de dialogue entre les pays d’Asie » –, les dirigeants ont adopté une « déclaration d’Astana » prévoyant de lancer « un processus de négociation (…) en vue de la transformation (…) de la CICA en une organisation internationale régionale à part entière ». En d’autres termes, il s’agit en changeant son statut, son cadre et ses prérogatives, de conférer à la CICA un poids institutionnel qui lui manquait jusqu’alors et devrait permettre à l’instance d’étendre et fortifier son influence sur les grands enjeux mondiaux.

Un « recalibrage » des relations entre la Russie et ses anciens vassaux

Dépourvu de résultat probant sur le dossier ukrainien, le sommet d’Astana a donc représenté, pour Kassym-Jomart Tokayev et la diplomatie kazakhe, une petite mais substantielle victoire – a fortiori dans le très volatil contexte géopolitique actuel. La montée en puissance de la CICA confère en effet une nouvelle chambre d’écho au soft power diplomatique kazakh qui, ces derniers temps, se déploie tous azimuts, le Kazakhstan se démenant sur tous les fronts pour consolider son statut d’interlocuteur de premier plan au sein des arcanes internationales. C’est ainsi que le géant d’Asie centrale, vers lequel auraient fui plus de 200 000 jeunes Russes potentiellement mobilisables, a décidé par la voix de son président de « prendre soin d’eux et d’assurer leur sécurité. C’est une question politique et humanitaire », a récemment déclaré Kassym-Jomart Tokayev.

De fait, comme le détaille un article du Financial Times, le Kazakhstan et plusieurs pays d’Asie centrale ont entamé, à la faveur de la guerre en Ukraine, un « recalibrage » de leurs relations avec Moscou. Sans renier ses liens historiques avec la Russie, le Kazakhstan multiplie les initiatives visant à s’assurer du soutien des dirigeants mondiaux, à l’image de Xi Jinping qui, le mois dernier, s’est engagé à défendre l’intégrité territoriale d’un pays où vit une importante minorité russophone. Le même activisme est de mise en matière économique, avec la diversification des partenaires du Kazakhstan, ou encore en matière institutionnelle, plusieurs réformes ayant récemment été adoptées en vue de démocratiser le système politique kazakh et de le conformer aux standards occidentaux. Dans un monde incertain et en pleine recomposition, le Kazakhstan place donc ses pions et n’a, selon toute vraisemblance, aucune intention de mettre tous ses œufs dans le même panier – russe.

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