Covid-19 : repenser la mondialisation pour plus de coopération
Alors que la mondialisation semblait être sur les rails de l’imperturbable « fin de l’Histoire » que d’aucuns avaient prédite, le virus – lui aussi « mondialisé » – a grippé cette machine bien rodée. La crise nous oblige à repenser une mondialisation qui pourra nous aider à affronter celles de demain. Le groupe de travail autour de Joe Biden, composé notamment de Henry Kissinger, Tony Blair ou encore de Bernard Arnault, illustre cette volonté de coopérer mieux, et plus efficacement, entre nations.
Un virus qui rebat les cartes de la mondialisation
Tandis que plus rien ne semblait pouvoir entraver la circulation des hommes et des marchandises, la virus apparu à Wuhan a mis un coup d’arrêt brutal au transport aérien de passagers et a considérablement diminué les activités de production et d’échanges de marchandises, avec pour conséquence une contraction de plus de 4% du PIB mondial en 2020. Si certaines décisions ayant conduit à cette crise majeure étaient inévitables – en particulier dans la panique du printemps dernier – d’autres en revanche auraient pu être évitées ou mieux gérées, si les Etats qui les ont prises avaient été en mesure de mieux se concerter. Les pouvoirs publics se sont en effet montrés incapables de se situer à un niveau adéquat – c’est-à-dire global – et ont privilégié un repli et des solutions à l’échelle nationale, avec des limites qui sont apparues rapidement : les chaines de production étant mondialisées, la fermeture des frontières aux importations – et aux exportations, de la part des pays producteurs – a rapidement entraîné dans de nombreux des pénuries de masques, de médicaments…
Dans un monde globalisé, « l’interdépendance l’emporte sur la souveraineté », pour reprendre la formule employée dans l’Echo par l’ambassadeur Raoul Delcorde et l’universitaire Vincent Laborderie. Certes, la mondialisation, avec ses mouvements ultra-rapides et peu contrôlés d’hommes et de marchandises, a permis au virus de se propager avec rapidité. Mais c’est également la mondialisation – avec l’échange de données sur la Covid entre les centres de recherches du monde entier, des équipes pluri-nationales dans les laboratoires, etc. – qui a permis une telle efficacité dans la mise au point de vaccins. La question est désormais de privilégier une approche coopérative et multilatérale.
Dans cet objectif de développement d’approches « gagnant-gagnant » face à des problèmes communs en lieu et place d’un jeu à somme nulle (« si je gagne, tu perds »), il devient urgent de mettre au point des institutions multilatérales à la hauteur. C’est d’ailleurs à l’issue de crises majeures qu’apparaissent ces institutions : la Société des nations (SDN) après la Première guerre mondiale, l’ONU après la seconde. Il ne s’agit pas cette fois d’une guerre – par exemple entre la Chine et les Etats-Unis, ce que beaucoup redoutaient – mais d’une guerre contre un virus invisible, dont les conséquences sont partout observables.
Bernard Arnault, Tony Blair, Henry Kissinger conseillent Joe Biden
Dans une tribune prémonitoire publiée sur son site en 2009 en pleine crise de grippe H1N1, l’écrivain et économiste Jacques Attali avait déjà lancé un avertissement sur une future crise pandémique, en rappelant que « l’Histoire nous apprend que l’humanité n’évolue significativement que quand elle a vraiment peur ». « Elle met d’abord des mécanismes de défense parfois intolérables […] parfois efficaces » précisait-il, « puis, une fois la crise passée, elle transforme ces mécanismes pour les rendre compatibles avec la liberté individuelle, et les inscrire dans une politique de santé démocratique ». Il avait alors plaidé pour la mise en place de « mécanismes de prévention et de contrôle, et des processus logistiques de distribution équitable de médicaments et vaccins ». Interrogé le 22 mars dernier sur France Culture, l’homme qui murmure à l’oreille des présidents a confirmé son constat : « Dans la situation actuelle, il y a un début de prise de conscience de la nécessité d’une autre forme de société qui n’est pas forcément donnée sur l’égoïsme, le profit », a-t-il affirmé, en mettant la notion d’ « altruisme ». A problème mondial, solution mondiale.
C’est une approche dont semble avoir pris conscience le nouveau président américain Joe Biden, en rupture avec son prédécesseur Donald Trump. Les recommandations émises par un groupe de personnalités réunies par le patron de JPMorgan Jamie Dimon afin de réfléchir à l’ère post-Trump pourraient donc disposer d’une oreille attentive : celles-ci appellent en effet à sortir du « America first » trumpien et à réhabiliter la coopération et un renouveau des relations américano-chinoises. « Les dirigeants économiques doivent prendre conscience du fait qu’ils n’ont pas seulement une obligation économique mais aussi un intérêt commercial à promouvoir un système plus juste et plus équitable » précise la note citée par le New York Times. Cette note est le fruit d’un think tank réunissant des leaders de premier ordre tels que l’ex-Premier ministre britannique Tony Blair, deux anciens secrétaires d’Etat à la Défense, Henry Kissinger, le patron du géant de la santé Johnson & Johnson, mais aussi le Français Bernard Arnault, PDG du groupe LVMH.
Bernard Arnault, qui est un proche de Joe Biden, avait joué la carte de la coopération internationale dès le mois de mars dernier, quand il est apparu que la France allait manquait de produits virucides. Le président de LVMH avait annoncé la reconversion de certaines usines de son groupe afin de produire du gel hydroalcoolique destiné aux hôpitaux. Quelques mois plus tard, LVMH évoquait une lettre du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian qui, « en réaction à une menace de taxes sur les produits français formulée par les Etats-Unis, demand[ait] au groupe LVMH de différer l’acquisition de Tiffany au-delà du 6 janvier 2021 ». Même si la finalisation du rachat de Tiffany par le groupe français a été réalisée le 7 janvier dernier, la guerre douanière enclenchée par Donald Trump a failli faire avorter cet achat record dans l’industrie du luxe. Tiffany a finalement rejoint la grande famille LVMH et cette transaction illustre un réchauffement des relations transatlantiques.
Aujourd’hui, les Etats-Unis – qui sont de retour au sein de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) et de l’Accord de Paris – et l’Union européenne reconnaissent que des efforts internationaux supplémentaires sont nécessaires pour juguler la crise sanitaire. « Le temps est désormais à l’unité et à la solidarité de la communauté internationale pour arrêter ce virus et ses conséquences dévastatrices », a récemment déclaré le Secrétaire général de l’ONU, António Guterres.