Publié le : mercredi 14 octobre 2020

Moukhtar Abliazov : opposant politique ou escroc international ?

C’est un scandale financier sans précédent dont serait victime une institution financière kazakhe, la banque BTA. Anciennement dirigée par l’homme d’affaires Moukhtar Abliazov, BTA accuse l’oligarque d’avoir détourné plus de 6 milliards d’euros. L’affaire révèle de complexes ramifications internationales et le sort du milliardaire est aujourd’hui entre les mains de la justice française.

C’est peut-être la fin d’une cavale qui a débuté il y a plus de dix ans. Moukhtar Abliazov est, à ce jour, poursuivi par quatre pays : la Grande-Bretagne, l’Ukraine, la Russie et le Kazakhstan. Arrêté le 5 octobre dernier à Paris, le milliardaire kazakh est finalement mis en examen deux jours après pour « abus de confiance aggravé » et « blanchiment aggravé », faisant suite à une plainte déposée en France par le Kazakhstan en 2017. Il est placé sous contrôle judiciaire lui permettant, pour le moment, d’échapper à une incarcération.

A l’origine de ces poursuites, il y a une Institution financière majeure au Kazakhstan, BTA, qui  a longtemps été l’une des principales banques commerciales du pays. Privatisée en 1997 et renationalisée en 2009, BTA dénonce une escroquerie à grande échelle menée par Moukhtar Abliazov, PDG et actionnaire principal de la banque pendant cinq ans. Selon elle, pas loin de 6 milliards d’euros d’actifs des caisses de la banque ont été détournés par l’oligarque par le truchement d’un écosystème complexe de sociétés offshore. L’ancien banquier nie ces accusations et déplore une cabale menée par différents pays alliés pour annihiler toute forme d’opposition démocratique au Kazakhstan. Une ligne de défense constante, aujourd’hui largement fragilisée par son parcours politique.

Un parcours complexe au Kazakhstan

Avant son poste à la banque BTA, Moukhtar Abliazov a été au cœur du pouvoir kazakh, occupant même en 1998 le poste très stratégique de ministre de l’Énergie, du Commerce et de l’Industrie au sein du gouvernement de Noursoultan Nazarbaïev. L’oligarque, qui s’est enrichi à la chute du bloc soviétique, a longtemps joui d’une certaine mansuétude de la part des gouvernements européens. Fondateur du parti d’opposition Choix démocratique du Kazakhstan (DVK), Moukhtar Abliazov s’est attaché à dénoncer la « corruption » d’une partie des gouvernants kazakhs. La nationalisation de la banque BTA en 2009, intervenue dans le cadre de son sauvetage, et les accusations portées contre lui sonnent le glas de sa courte carrière politique et l’obligent à fuir le pays.

Cet engagement politique lui permet de se construire, par la suite, l’image d’un « persécuté politique » fuyant les « régimes autoritaires » de l’Est. En 2011, il réussit à obtenir l’asile politique à Londres, où il résidait depuis deux ans et travaillait au sein d’un fonds d’investissement luxembourgeois. Il vit alors dans une très confortable demeure du centre de la capitale britannique, disposant aussi d’unee résidence secondaire aux environs de la capitale. Mais, très rapidement, les vieilles affaires resurgissent.

Des montages financiers qui auraient atteint « l’apocalypse »

Car la banque BTA tente, par tous les moyens, de récupérer ses actifs mystérieusement disparus. L’année de son installation à Londres, la banque kazakhe intente une action en justice devant la Haute-Cour du Royaume-Uni. L’année suivante, les actifs de Moukhtar Abliazov sont gelés par la justice britannique. En novembre 2012, la Haute Cour de Justice exige de Moukhtar Abliazov qu’il règle 4,6 milliards d’euros de dommages et intérêts à BTA. En 2013, la Cour suprême de Grande-Bretagne, c’est-à-dire la plus haute instance du pays, confirme la condamnation de Moukhtar Abliazov à 22 mois de prison pour outrage à la Cour, celui-ci n’ayant pas exécuté les décisions de justice.

Pris dans un tourbillon judiciaire, l’oligarque repart en cavale. C’est finalement sur la France qu’il jette son dévolu, s’installant près d’Aix-en-Provence. Mais l’étau ne cesse de se resserrer. Car deux nouveaux pays entrent en jeu : la Russie, où Abliazov est accusé, entre autres, de fraude à grande échelle, d’atteinte à la propriété par tromperie ou encore de blanchiment d’argent – la somme de ses malversations financières en Russie atteindrait les 5 milliards de dollars. Et l’Ukraine, où l’on évoque des prêts fictifs et des détournements de fonds de 400 millions d’euros. Pour une magistrate d’Aix-en-Provence en charge du dossier, les montages financiers en jeu auraient « atteint l’apocalypse ».

Et la France ?

Les Russes, comme les Ukrainiens, ne cessent, depuis ces années, de réclamer à la France – qui a signé des accords avec ces deux pays – l’extradition d’Abliazov. Mais l’existence parallèle de différentes institutions administratives et judiciaires françaises rend la démarche complexe. Si la justice française a autorisé l’extradition de l’homme d’affaires en Russie trois ans de suite, le Conseil d’État, de son côté, la refuse en 2016. Sa demande d’accession au statut de réfugié politique, quant à elle, lui avait initialement été refusée par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), avant que la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) n’infirme cette décision en septembre dernier.

Dans l’attente du procès, l’oligarque capitalise toujours sur son image d’ «opposant politique en danger ». Mais la crédibilité de son statut de victime semble aujourd’hui être lourdement entamée.

 

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