Guinée : un rapport accable la police d’Alpha Condé
Human Rights Watch vient de publier une enquête revenant sur les violences ayant émaillé le referendum constitutionnel de mars dernier. Selon l’ONG, les forces de sécurité guinéennes ont activement participé aux exactions commises dans la seconde ville du pays, N’zérékoré. Alors que l’élection présidentielle se tiendra dimanche prochain, le 18 octobre, l’organisation redoute une flambée de violence.
Comme un avant-goût de victoire – à moins qu’il ne s’agisse d’une manœuvre du régime visant à lâcher du lest, à une semaine de la fin d’une campagne présidentielle explosive. Alors que devait se tenir, le 29 septembre, une importante manifestation à N’zérékoré, la seconde ville de Guinée, la coordination régionale du FNDC (Front national pour la défense de la Constitution) a annoncé, la veille, sa décision de reporter la mobilisation à une date ultérieure. Interdite par le pouvoir, la marche a été annulée par ses organisateurs en raison de la libération, plus tôt dans la journée, de 35 des membres du FNDC. Ils étaient jusqu’alors détenus à la prison de Kankan, à la suite de leur arrestation lors des troubles ayant accompagné le double scrutin (élections législatives et referendum constitutionnel) controversé du 22 mars dernier.
L’antenne de cette région forestière avait initialement invité « tous les citoyens opposés au projet de troisième mandat (de l’actuel président guinéen), à la politique de division de M. Alpha Condé et à la détention arbitraire de nos frères à une manifestation pacifique » dans les rues de N’zérékoré. Les instances du FNDC, un mouvement populaire initié il y a une douzaine de mois en opposition à la personne et à la politique du président Condé, appelaient à « la libération immédiate et sans conditions de toutes les personnes kidnappées à N’zérékoré et qui sont détenues dans des conditions inhumaines depuis sept mois ». Au moins huit opposants demeureraient néanmoins sous les verrous, selon le FNDC.
Le rôle des forces de l’ordre pointé du doigt
Les violences ayant, dans la ville de N’zérékoré, entouré les élections du 22 mars, ont fait l’objet d’une enquête minutieuse de l’ONG Human Rights Watch (HRW). L’organisation de défense des droits de l’homme vient de rendre public un rapport d’une cinquantaine de pages sur le sujet, documentant les exactions menées tant par des civils que par des forces de l’ordre guinéennes. Selon ses auteurs, « des violences ont entaché le processus (électoral) dans tout le pays » et « ont atteint leur comble à N’zérékoré », où « de nombreuses personnes ont été abattues, tuées à coups de machette ou battues à mort, et au moins une a été brûlée vive ».
Le rapport d’Human Rights Watch s’attarde longuement sur le rôle ambigu des policiers et militaires guinéens dépêchés sur place, en pointant leur passivité, voire leur complicité dans les atrocités perpétrées : « les forces de sécurité guinéennes ont failli à leur responsabilité de protéger la population de violences électorales et intercommunautaires tout en commettant elles-mêmes des violations des droits humains à N’zérékoré », déplorent ainsi les auteurs du rapport, selon qui les forces de l’ordre « n’ont pas pris de mesures suffisantes pour empêcher ces meurtres (…). En outre, elles ont elles-mêmes tué deux personnes, et ont passé à tabac et arrêté arbitrairement des dizaines d’hommes ».
« Le risque de nouvelles violations des droits humains »
Ce sont ces mêmes personnes – « détenues illégalement (…), passées à tabac, gardées dans des conditions inhumaines, dans une cellule crasseuse dépourvue d’une ventilation adéquate, et privées de nourriture et d’eau » – dont une partie vient d’être libérée par le régime. En dépit de ce geste d’apaisement, HRW reste pessimiste quant à la perspective d’un rapide retour au calme dans le pays : selon l’ONG, la tragédie de N’zérékoré est « aussi un signe qu’en Guinée, le dangereux mélange constitué de la crise politique, de vieilles tensions ethniques et intercommunautaires, et d’abus parfois commis en toute impunité par les forces de sécurité, fait planer le risque de nouvelles violations des droits humains avant et pendant l’élection (présidentielle) d’octobre ».
Sans viser explicitement Alpha Condé, le bureau des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest avait, en mars dernier, lui aussi condamné « avec la plus grande fermeté tous les actes de violence, l’usage excessif de la force qui ont provoqué des pertes de vies humaines et de nombreux blessés, ainsi que les violences à connotation intercommunautaire qui se sont déroulées dans la région de N’zérékoré ». L’Union européenne, la France, les Etats-Unis, l’Union africaine et la CEDEAO avaient également exprimé leur préoccupation après l’organisation d’un double scrutin largement perçu comme opaque et non-démocratique.
Vers un troisième mandat d’Alpha Condé ?
Elu en décembre 2010, réélu en 2015, Alpha Condé brigue un troisième mandat à la tête de la Guinée, pays d’Afrique de l’Ouest situé entre le Sénégal, le Mali et la Côte d’Ivoire. Une possibilité interdite par la Constitution guinéenne, raison pour laquelle le chef de l’Etat a fait procéder à une révision de la loi fondamentale le 22 mars. Entaché d’irrégularités, le scrutin a mobilisé contre lui de larges parts de la population guinéenne, rassemblées autour du FNDC, lui-même composé de plusieurs partis politiques opposés à celui d’Alpha Condé. L’éventualité d’un troisième mandat, à contre-courant de la tendance à l’oeuvre dans les pays de la sous-région, et les violences émaillant la campagne à l’approche du scrutin, font craindre aux observateurs une déstabilisation de cette partie de l’Afrique.