Le stress hydrique, défi mondial de demain
En 2040, plusieurs régions du monde vont cumuler une forte densité de population et un risque important de pénurie en eau potable, le stress hydrique. Une situation en grande partie due à la forte consommation en eau de l’agriculture et de l’industrie.
Un monde de plus en plus assoiffé
À l’heure actuelle, près de 1,7 milliard d’êtres humains — soit le quart de la population mondiale — se trouvent déjà en situation de « stress hydrique grave », selon un rapport publié en août dernier par le World Resources Institute (WRI).
Or, ce bilan déjà inquiétant ne fera que s’aggraver : en 2040, certaines grandes régions du monde très densément peuplées devront faire face à important risque de pénurie de leurs ressources en eau. Selon le WRI, 33 pays — dont la moitié au Moyen-Orient — seront même confrontés à un « stress extrême » dans 20 ans. Une augmentation du stress hydrique due à de nombreux facteurs et en premier lieu l’accroissement de la population, la croissance économique, l’urbanisation et les changements climatiques.
Il s’agit d’un enjeu de taille, et ce quelle que soit la dimension et les moyens des pays concernés. Alors qu’elle sera la première puissance mondiale d’ici là, le stress hydrique sera ainsi un enjeu considérable pour la Chine et ses 1,4 milliard d’habitants puisque l’Asie du Sud et de l’Est concentrera environ 60 % de la population mondiale et une trentaine de mégapoles en 2040. L’Estonie, petit pays européen 1,3 million d’habitants situé en zone humide, devrait quant à lui voir sa population baisser de 10 % d’ici 2040, mais également son stress hydrique s’intensifier en raison du changement climatique, de l’augmentation de la demande en eau potable et de la concurrence entre utilisateurs (agriculture et industrie).
À une échelle intermédiaire, le Chili, pays de 19 millions d’habitants, est déjà frappé depuis 11 ans par une sécheresse sans précédent. En 2019, le déficit de précipitations a été d’environ 75 % en moyenne dans la zone centrale du pays, la plus densément peuplée. Dans la vallée de Putaendo, plus de 2 800 têtes de bétail sont mortes l’an passé — soit environ 40 % du total — à cause du manque d’eau potable. Selon le climatologue Raúl Cordero « la sécheresse est un mécanisme naturel, mais elle est amplifiée par le changement climatique. » Une situation qui amène beaucoup de jeunes paysans à partir travailler dans les mines de cuivre du nord du Chili. Une double peine pour le pays, car il s’agit une industrie très gourmande en eau. À l’heure actuelle, environ 40 % des municipalités chiliennes sont déclarées en état d’urgence hydrique et environ 500 000 personnes reçoivent de l’eau potable via des camions-citernes.
La consommation domestique, première victime et dernière coupable
L’Afrique reste cependant la zone la plus directement menacée par un stress hydrique extrême, et ce en raison de l’urbanisation sauvage, de l’explosion démographique (la population africaine augmente de près de 4 % par an) et du développement agricole croissant qui en résulte. Une équation qui risque de drainer jusqu’à la dernière goutte les réserves en eau — déjà critiques — du continent. S’ajoute à cette problématique le manque d’investissements des États africains dans le secteur de la distribution d’eau, ayant pour conséquence une qualité déplorable des infrastructures — quand elles existent — entraînant l’expansion de maladies comme le choléra, la dysenterie ou la fièvre typhoïde. Cette grave défaillance de l’approvisionnement domestique en eau peut provisoirement — c’est-à-dire d’ici à ce que les infrastructures de collecte et de distribution de l’eau potable soient suffisantes — être résolue par l’usage d’eau minérale en bouteille. Celle-ci est en effet bien souvent la seule solution pour accéder à une eau saine et sans risque, et des pays comme la Côte d’Ivoire ou le Maroc règlent déjà la question de la pollution plastique qu’elle peut générer par le développement de filières industrielles liées au traitement et au recyclage de ces déchets.
Si la consommation domestique en eau — c’est-à-dire la consommation des individus — est la première victime du stress hydrique, elle est pourtant loin d’en être la première cause. En effet, sur les 80 % des réserves d’eau douce disponibles dans le monde prélevées chaque année, plus des deux tiers sont utilisés pour l’agriculture (69 %) et 19 % par l’industrie. L’usage domestique ne représente donc que 12 %, une grande partie étant due aux usages ménagers (lave-linge, lave-vaisselle, arrosage des pelouses, douches et bains…), la consommation d’eau de boisson — au robinet ou en bouteilles — étant minime. Au Chili par exemple, la part de l’agriculture monte à 75 %, tandis que la consommation domestique ne représente que 6,8 % de la consommation d’eau totale du pays.
Une prise de conscience de la consommation en eau gigantesque de l’agriculture et de l’industrie peut être illustrée au travers de quelques exemples : la production d’un hamburger nécessite 2808 litres d’eau, soit l’équivalent de près de 6000 bouteilles d’eau de 50 cl. La fabrication d’une chemise en coton nécessite quant à elle près de 2500 litres d’eau, et le record d’empreinte hydrique est détenu par le café, dont la production d’un seul kilo nécessite 18 900 litres d’eau… Un Français dépense donc en moyenne 4 900 litres d’eau par jour pour se nourrir et s’habiller !
Face à ces chiffres inquiétants, les solutions mises en place jusqu’ici ne s’avèrent pas tenables sur le long terme, notamment le dessalement de l’eau de mer, très polluant. La seule solution réside dans la mise place de processus de productions industrielles et agricoles beaucoup moins gourmands en haut. Une transition portée par la technologie, mais qui impactera nécessairement notre manière de vivre et de manger.