Covid-19 : la Corée du Sud renoue avec ses démons des années 60
Si la Corée du Sud fait figure d’exemple à suivre pour sa gestion de la crise liée au coronavirus, le pays est désormais la proie d’intenses polémiques à propos des sectes religieuses ayant favorisé la propagation de la maladie. Des affaires qui rappellent que la société coréenne demeure profondément marquée par ses années de croissance dans les années 1960, et n’a peut-être pas encore rompu avec cette période prospère, mais conservatrice.
Quand religion et santé ne font pas bon ménage… On sait qu’en France, l’épidémie de coronavirus s’est initialement propagée dans la région Grand Est, la plus touchée de l’Hexagone, à partir d’un rassemblement protestant évangélique, organisé à Mulhouse au cours du mois de février 2020. Ironie du sort, c’est également en raison des activités d’une secte évangélique que la Corée du Sud est devenue, après la Chine, le pays asiatique le plus durement éprouvé par la pandémie de Covid-19.
Les membres du mouvement religieux Shincheonji (« nouveau monde », en coréen) de Jésus, qui revendique quelque 245 000 fidèles dans le pays et dont le chef, Lee Man-hee (89 ans), a dans un premier temps refusé de collaborer avec les autorités sanitaires pour, selon lui, « se protéger des persécutions », auraient ainsi contribué à contaminer près de la moitié des 10 000 cas confirmés de la maladie en Corée du Sud.
Des sectes évangéliques au parfum de soufre
Sous la pression d’une opinion publique remontée, le gouvernement a décidé de poursuivre les communautés protestantes ne se pliant pas aux directives de distanciation sociale prescrites par les autorités. Et, dans un pays traumatisé par les conséquences de l’épidémie, l’affaire a ravivé les questionnements sur la nébuleuse sectaire, son opacité, son prosélytisme et son poids politique dans le paysage démocratique sud-coréen.
Implantées dans la péninsule au début du XXe siècle, les églises et sectes sud-coréennes se réclament dans leur majorité du mouvement presbytérien, dans un pays à 20% protestant. Elles ont connu leur apogée dans les années 1950 et 1960, à la suite de la guerre entre les deux Corées et de leur partition entre Nord et Sud. Ces myriades d’églises autonomes ont alors adopté un positionnement résolument anticommuniste et bénéficiant, à ce titre, de la tolérance, voire du soutien des autorités.
Un parfum de soufre enveloppe ces divers mouvements sectaires. Puissants, ils représentent un poids électoral important, principalement pour les partis de droite et d’extrême droite. Un véritable « réseau », qui s’enracine dans le monde professionnel, particulièrement dans le Sud du pays et dans la métropole de Daegu, bastion des conservateurs. L’ancienne présidente sud-coréenne Park Geun-hye était ainsi proche de l’une de ces églises et de son « prophète » autoproclamé, avant d’être arrêtée et condamnée pour détournement de fonds publics ; en 2019, la prophétesse de la secte de la Voie de la grâce a été condamnée pour détention et torture de 400 fidèles ; l’année précédente, Lee Jaerock, le gourou de l’Église de Manmin, avait quant à lui écopé d’une condamnation pour viol.
Le poids du passé
Le cas des sectes évangélistes ne fait pas exception : sur de nombreux points, la Corée du Sud peine encore à tourner la page des années 50 et 60, quand le pays est progressivement passé de protectorat américain sous-développé à puissance industrielle mondiale. Une bascule qui continue de faire la fierté des coréens mais qui paralyse toute autocritique et toute analyse de la situation historique.
En ce sens, le cas des « Lai Dai Han » est emblématique des blocages de la société sud-coréenne. Ce sont les enfants sont issus des viols de guerre commis par les troupes sud-coréennes en poste au Vietnam, dans les années 1970. Participant à la stratégie de « containment » du communisme initiée par Washington, Séoul est l’un des principaux alliés américains dans sa guerre contre le Viêt-Cong. Dans la fureur du conflit, des milliers de viols ont été commis et entre 5 000 à 30 000 de ces enfants vivent encore dans le rejet de la société vietnamienne. Les victimes et leurs enfants réclament toujours une reconnaissance de leur sort et la communauté internationale découvre progressivement cette page d’Histoire. Les victimes sont ainsi soutenues par Nadia Murad, l’ancienne prix Nobel de la Paix impliquée sur le sujet des viols en zone de conflit et en Europe, notamment en Grande-Bretagne ou en France, le sujet émerge progressivement. Mais en Corée du Sud, le sujet demeure tabou et n’est évoqué ni dans les livres scolaires ni dans les médias.
D’une certaine manière, une chape de plomb continue de peser sur la société civile au « pays du matin calme ». L’ombre de Park Chung-hee plane toujours sur le pays : dirigeant le pays d’une main de fer de 1962 à 1979, cet ancien président de la Corée du Sud, militaire et autoritaire, a projeté sa nation parmi les 20 pays les plus riches de la planète.
De ce fait, il demeure extrêmement populaire parmi les sud-coréens, en dépit des très nombreuses atteintes aux droits humains commises sous sa présidence. De nombreux responsables politiques et syndicaux ont ainsi disparu quand Park Chung-hee et ses hommes étaient au pouvoir, quand ils dirigeaient le pays main dans la main avec les géants industriels nationaux. Des disparitions toujours non élucidées. En 2012, c’est la fille de l’ancien dictateur qui arrive démocratiquement au pouvoir : notamment soutenue en coulisse par la secte de « l’Église de la vie éternelle », Park Geun-hye est élue présidente de la République. Si elle esquisse de timides excuses pour les agissements commis sous son père, elle défendra la mise en place de manuels scolaires glorifiant la présidente de l’ancien militaire. La Corée du Sud n’en a pas fini avec ses démons du passé.