Publié le : jeudi 26 septembre 2019

Boycott au Maroc : les révélations choc d’un think tank français

Le boycott au Maroc d’avril 2018, considéré comme un mouvement social et populaire, aurait-il été dirigé? C’est la conclusion que tire un think tank français, l’EPGE, qui a enquêté sur le phénomène.

La vague de contestation en ligne sans précédent qui a frappé le Maroc en avril 2018 a constitué un sommet dans les exemples de protestations digitales de ces dernières années. A l’origine de ce mouvement, un post Facebook qui avait mis le feu aux poudres dénonçant les tarifs jugés beaucoup trop élevés de l’eau minérale Sidi Ali, le lait Centrale Danone et les stations essence Afriquia. Les trois marques ont rapidement été boudées par les Marocains jusqu’à subir des pertes financières allant de 40 % à 90 % de leur chiffre d’affaire. Or, une étude réalisée par le think tank l’EPGE et relayée par plusieurs journalistes indique que ce boycott surprise contre la vie chère n’avait en réalité rien de spontané. Il aurait même été piloté par un groupuscule radical aux intérêts politiques troubles.

 

Initiative de déstabilisation

Le think tank l’EPGE (École de pensée sur la guerre économique) fait des révélations inquiétantes sur le boycott qui a obnubilé le Maroc fin avril 2018. Une analyse détaillée de cette vague de contestation révèle que cette action fut plus pernicieuse que ce à quoi il fallait s’attendre. Pour exposer les dessous de cette affaire, le centre de réflexion s’est appuyé sur des rapports produits par « des organismes indépendants (notamment Citizen Lab) et les États eux-mêmes (notamment les ministères des Armées et des Affaires Étrangères français) » pour créer une méthode d’enquête. Il y a ensuite appliqué une grille d’analyse sur trois niveaux différents : technique, narratif et opérationnel.

Il en ressort qu’à bien des égards, cette campagne était incompatible avec une réelle « mobilisation de terrain ». D’après le rapport, il s’agirait davantage d’une campagne de désinformation « hiérarchisée, donc orchestrée par un agenda politique précis ». Elle se serait fortement inspirée des deux campagnes de boycotts organisées en Algérie et en Tunisie ces dernières années.  Cette initiative de déstabilisation aurait même bénéficié d’un budget conséquent, avec par exemple entre 100 000 et 500 000 euros de budget d’achat d’espace en ligne pour diffuser les idées du mouvement. A cela il faut ajouter d’onéreuses campagnes de dons aux démunis pour mobiliser l’opinion publique.

 

Entre agitprop et astroturfing

Au niveau technique, l’existence de spams à grande échelle, d’astroturfing (sponsorisation de posts pour en booster artificiellement la portée), d’utilisation de « robots » pour diffuser des messages indique, selon les auteurs, une volonté avérée de manipuler les contenus et leur impact. Ils ont été portés par les deux comptes anonymes vedettes Kifaa7 et Moul Chekara. Ces comptes, spécialisés dans l’organisation de troubles politiques, ont été épaulés par un nombre significatif de comptes Facebook, Twitter et YouTube, qui ont diffusé des éléments de langage récurrents.

Ces derniers puisent leur storytelling complexe dans les frustrations de la société marocaine (contestation du pouvoir royal, oppositions territoriales, instrumentalisation de la religion…). « Chacun de ces [trois] niveaux s’est révélé concluant : la campagne d’avril 2018 a été organisée, dirigée, financée et appuyée par des intérêts puissants avec un agenda politique radical, voire factieux » ; conclut le rapport. Et si l’attribution d’une cyber-attaque est un exercice périlleux, le rapport dévoile des éléments en mesure d’en identifier les acteurs, peut-être même les commanditaires.

 

Un objectif politique sous-jacent

Si des tentatives de boycott au Maroc ont été tentées par le passé, ce mouvement était ici habité par une composante religieuse neuve, qui avait à l’époque intrigué les observateurs de l’EPGE. Et pour cause : le recoupage des domaines utilisés dans le cadre de cette campagne a finalement permis d’identifier les auteurs de cette entreprise. Il s’agit, nous dit l’EPGE, d’un réseau de blogueurs et de hackers de nationalité marocaine partageant « une fascination pour le pouvoir turc et une vision rigoriste de l’Islam ». Des caractéristiques propres au courant radical désireux de créer un chaos politique.

A cette force d’opposition activiste se sont par la suite, par opportunisme, ajoutés le Parti Justice et Développement (PJD), le Parti authenticité et modernité (PAM) mais aussi le PSU, un micro-parti communiste, qui ont tenté de « guider la colère populaire » contre le RNI et son leader, Aziz Akhannouch. Ces derniers ont donné un second souffle au mouvement, participant au succès du boycott. Il est toutefois improbable que ces formations, à l’exception faite du PJD, se trouvent à l’origine du mouvement. Les indices pointent davantage vers le réseau islamiste semi-illégal Al Adl Wa lIhssan (Justice et Spiritualité). L’objectif de ce dernier aurait été d’« établir des liens puissants avec la population afin d’influer sur le résultat des élections » à venir.

« Nous soutenons l’hypothèse que dans les mois et années à venir, le réseau va continuer de croître, saper l’autorité des pouvoirs publics et s’attaquer aux probables candidatures du RNI, mais aussi du PJD et du PAM, pour favoriser le chaos ou le recours à de nouvelles forces politiques extrémistes », assure l’EPGE. Aussi, le rapport appelle-t-il à rester vigilant pour les élections législatives marocaines de 2021, où le recours à de telles techniques de manipulation de masse est très probable.

Pour plus de détails sur cette affaire, il est possible de consulter la totalité du rapport, mis en accès libre sur le site de l’EPGE.

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