Coup d’Etat au Venezuela : l’ingérence américaine risque de déstabiliser le pays
Immédiatement reconnu par Donald Trump, le coup d’Etat perpétré par l’opposant Juan Guaido rappelle la funeste tradition d’ingérence américaine. L’Europe devrait retenir les leçons de l’Histoire et ne pas s’engouffrer derrière le président américain, au risque de déstabiliser encore davantage la région.
Un coup d’Etat en bonne et due forme. Mercredi 23 janvier, le président du Parlement vénézuélien,Juan Guaido, s’est auto-proclamé chef de l’Etat par intérim, en lieu et place de Nicolas Maduro. Devant une foule de dizaines de milliers de supporters réunis à Caracas, le politicien de 35 ans a solennellement juré « d’assumer formellement les compétences de l’exécutif national comme président en exercice du Venezuela pour parvenir (…) à un gouvernement de transition et obtenir des élections libres ».
Réinvesti pour un second mandat le 10 janvier, le président Maduro a dénoncé une tentative de « coup d’Etat » de la part de l’opposition de droite. Le successeur d’Hugo Chavez, qui a reçu le soutien de l’armée vénézuélienne ainsi que de la Cour suprême, a immédiatement dénoncé l’ingérence des Etats-Unis, déclarant qu’il « ne fait aucun doute que c’est Donald Trump lui-même qui veut imposer de facto un gouvernement » de substitution.
Donald Trump reconnaît Guaido
De fait, l’exubérant président américain n’a pas perdu de temps et a très vite reconnu M. Guaido comme président par intérim. « Le peuple du Venezuela a courageusement parlé contre Maduro et son régime, a-t-il déclaré. Je continuerai à utiliser toute la puissance économique et diplomatique des Etats-Unis pour faire pression en faveur du rétablissement de la démocratie vénézuélienne ». Un message confirmé par le département d’Etat américain, selon lequel « les Etats-Unis ne reconnaissent pas le régime de Maduro ».
En réaction, ce dernier a « décidé de rompre les relations diplomatiques et politiques avec le gouvernement impérialiste des Etats-Unis » et donné 72 heures au personnel diplomatique américain pour quitter le pays. Si le secrétaire d’Etat américain, Mike Pompeo, a répondu considérer que M. Maduro n’avait plus « l’autorité légale » pour prendre de telles décisions, Washington a néanmoins ordonné jeudi le départ de son personnel « non essentiel » du Venezuela.
L’ingérence américaine, une habitude teintée de sang
Ce n’est pas la première fois, loin s’en faut, que l’ingérence américaine contribue à déstabiliser des régions entières. En 1973 déjà, la CIA, sous les ordres du président Nixon, avait contribué au renversement du président chilien Salvador Allende, favorisant le coup d’Etat fomenté par le général Augusto Pinochet. Avec le résultat que l’on connait : des décennies d’exactions et de censure, quelque 3 200 Chiliens perdant la vie et près de 40 000 étant torturés dans les geôles du régime. Plus récemment, la seconde guerre d’Irak déclenchée par George W. Bush a largement contribué à mettre le feu au Moyen-Orient, et a indirectement donné naissance au groupe terroriste Etat islamique.
On peut dès lors s’interroger sur la précipitation de nombre de pays à s’engouffrer derrière Donald Trump en reconnaissant, eux aussi, la légitimité de ce coup d’Etat, à l’image de la majorité des Etats membres du « Groupe de Lima », tels que le Canada, le Brésil, la Colombie ou l’Argentine. L’Organisation des Etats américains (OEA), basée à Washington, ainsi que le Conseil européen, qui représente les 28 Etats membres de l’Union européenne (UE), ont à leur tour apporté leur soutien à Juan Guaido, de même que le président français, Emmanuel Macron. Il s’agit d’un dangereux précédent, l’Europe n’ayant pas pour doctrine de soutenir des opérations politiques aussi peu respectueuses du droit et des relations internationales.
Maduro conserve des soutiens
Des voix discordantes se font pourtant entendre sur la scène internationale. Sur le continent américain, le Mexique, la Bolivie et Cuba ont exprimé leur soutien au régime de Nicolas Maduro. Aux Etats-Unis, le sénateur Bernie Sanders, ancien candidat à la primaire démocrate pour l’élection présidentielle, a appelé à « retenir les leçons du passé et ne pas jouer le jeu des changements de régime ou du soutien des coups d’Etat ». « Les Etats-Unis sont longtemps intervenus de façon inappropriée dans les pays d’Amérique latine. Nous ne devons pas emprunter cette voie à nouveau », a sagement déclaré le vétéran de la politique américaine.
Même son de cloche du côté de Moscou : Juan Guaido ne fait « qu’usurper le pouvoir » et « viole le droit international », a déclaré le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov. Quant au ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, il a condamné une « ingérence étrangère » au Venezuela, qui pourrait mener à « l’arbitraire et au bain de sang », voire à la « liquidation physique de Nicolas Maduro ». En France, le député et leader du parti France Insoumise, Jean-Luc Mélanchon, a de son côté dénoncé « une tentative de coup d’Etat en violation de tous les principes admis » ; son bras droit, Eric Coquerel, considère lui que « l’empressement de Trump à reconnaître celui qui s’est autoproclamé président du Venezuela montre d’où vient le coup ». « Que dirait Macron, si après une grande manifestation, Jean-Luc Mélanchon se proclamait président ? », a-t-il encore relevé. Très bonne question…