La guerre de l’aluminium fait ses premières victimes en Europe
La crise de l’aluminium traverse l’Atlantique : le 18 octobre dernier, le groupe Alcoa confirmait la fermeture de deux usines jugées non rentables à Avilés et La Corogne, au nord-ouest de l’Espagne. Une décision directement liée aux tensions commerciales provoquées par les États-Unis.
Plus de 686 emplois supprimés, près de 3000 emplois indirects menacés : l’addition est lourde pour les usines d’Avilès et de La Corogne, après la décision de l’entreprise Alcoa de fermer les deux lieux de production. Une décision faisant suite à une perte nette de 41 millions de dollars lors du troisième trimestre. Alcoa évoque des problèmes structurels intrinsèques et des coûts fixes élevés, mais aussi des facteurs externes tels que les prix élevés des matières premières, la surproduction chinoise, mais surtout les tarifs douaniers mis en place par les États-Unis et les sanctions prises à l’encontre de Rusal, le premier producteur mondial d’aluminium. Des décisions qui pénalisent un secteur déjà en difficulté sur le Vieux Continent.
De nouveaux handicaps pour un secteur en crise
Le 31 mai dernier entraient en vigueur aux États-Unis les surtaxes de 25 % sur les importations d’acier et de 10 % sur celles d’aluminium – et ce quelque soit le pays d’origine de ces métaux, alors qu’une exemption avait était accordée depuis mars à l’Union européenne, au Canada et au Mexique. Une promesse de campagne de Donald Trump qui est aussi un détournement des règles de l’OMC s’appuyant sur une loi de 1962 autorisant les autorités américaines à limiter l’importation de certains produits si le département du Commerce y voit une menace pour la sécurité intérieure.
À cette première décision se rajoute le risque d’une seconde : le Trésor américain a mis en place un ensemble de sanctions contre Oleg Deripaska, milliardaire russe et principal actionnaire des entreprises En+ et Rusal. Une décision de Washington qui concerne aussi les entreprises européennes, par l’extra-territorialité du Droit américain. Or, comme Rusal fournit plus du quart des importations en aluminium de l’Union européenne, celle-ci pourrait donc faire face à des difficultés d’approvisionnement dans les mois à venir. Une situation qui concerne l’ensemble du continent, des usines Alcoa de La Corogne jusqu’aux confins de la Suède : le 19 octobre dernier, l’agence Reuters rappelait que l’usine d’aluminium Kubal, au nord du pays, pourrait elle aussi fermer ses portes dans les prochaines semaines si les sanctions américaines n’étaient pas levées.
Cette situation incertaine entraîne une grande volatilité des prix de l’aluminium : en avril par exemple, lorsque les États-Unis avaient placé Rusal sous sanctions, les prix avaient flambé de plus de 30 % et atteint des sommets inconnus depuis sept ans, puis avaient rechuté lors de l’annonce du recul de la date de l’entrée en vigueur des sanctions au 23 octobre — une date encore reculée au 12 décembre il y a peu.
Une crise qui touche l’aluminium et l’alumine
L’aluminium n’est pas la seule matière première à être concernée par cette crise commerciale, l’alumine aussi. L’alumine est un composé chimique extrait de la bauxite qui est électrolysé afin d’obtenir de l’aluminium. Jusqu’alors considérée comme une valeur sûre peu soumise aux aléas du marché, elle subit elle aussi les conséquences de l’offensive américaine. En effet, Rusal fournit à elle seule 65 % de l’alumine française et l’arrêt soudain de ses livraisons — qui pourrait subvenir du jour au lendemain en cas d’applications des sanctions de Washington — entraînerait une quasi-paralysie de la production d’aluminium en France.
La guerre politico-commerciale en cours engendre donc une crise de l’aluminium aux conséquences dramatiques : ainsi, la France pourrait perdre jusqu’à 100 000 emplois directs et indirects, par ailleurs souvent localisés dans des zones marquées par la désindustrialisation et un taux de chômage élevé. Ou peut citer la première fonderie européenne, Aluminium Dunkerque, mais aussi d’autres petites entreprises tributaires de ces fonderies qui pourraient ne pas survivre, telles que Fives ECL à Ronchin dans le Nord ou Figéac Aéro dans le Lot. Ces petites entreprises moins célèbres n’en demeurent pas moins des champions départementaux, voire régionaux, chacune comptant un peu plus de 300 employés.
Le 14 octobre, l’Office of Foreign Assets Control (OFAC) du département du Trésor américain repoussait l’effectivité des sanctions contre Rusal et ses partenaires au 12 décembre. Un court répit pour les industries européennes, qui attendent des autorités bruxelloises qu’elles se saisissent de l’affaire. L’UE serait bien inspirée de frapper un grand coup en défendant ses entreprises face à la pression de Donald Trump : Une manière de répondre à Washington, mais aussi aux forces eurosceptiques qui reprochent à l’institution d’être souvent trop faible et inféodée aux intérêts américains. Un message important, à quelques mois des élections européennes.