Publié le : jeudi 27 septembre 2018

L’Asie sur le difficile chemin de la mémoire

L’empereur Akihito et l’impératrice Michiko commémorent les 73ans de la capitulation du Japon à Tokyo, le 15 août 2018

Le « devoir de mémoire » est encore un sujet tabou en Asie. Si le Japon multiplie les cérémonies et déclarations pour s’excuser des excès de ses soldats durant la Seconde Guerre mondiale, ses voisins chinois et sud-coréens peinent encore à assumer publiquement les pages sombres de leur Histoire.

Un geste pour l’Histoire. Le 15 août dernier, l’empereur du Japon Akihito a très officiellement exprimé ses regrets quant aux atrocités perpétrées par l’armée japonaise au cours de la Seconde Guerre mondiale. Lors d’une cérémonie célébrant la capitulation de l’archipel, le 15 août 1945, le fils de Hirohito, à la tête du pays à la fin du conflit, a eu ces mots rares : « Éprouvant de profonds remords, je souhaite sincèrement que jamais ne se répètent les ravages de la guerre ».

C’est en 2015 que l’empereur, aujourd’hui âgé de 84 ans, a pour la première fois exprimé ses « profonds remords » vis-à-vis de la guerre déclenchée par son pays au milieu du siècle dernier. Une prise de position historique, destinée à solder un passé encore douloureux — plus de trois millions de Japonais, dont 800 000 civils, ont péri pendant le conflit. Le Premier ministre, Shinzo Abe, a lui aussi déclaré en ce 15 août que « les horreurs de la guerre ne doivent pas se reproduire. En nous confrontant humblement à l’Histoire, nous continuerons à tenir fermement cette promesse ».

 

En Chine, la difficile mémoire du « Massacre de Tianjin »

Plus de 70 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, le Japon semble donc prêt à tourner la dernière page de ses douloureux souvenirs. En Asie cependant, force est de constater que le « devoir de mémoire » ne résonne pas avec la même urgence dans tous les pays. À commencer par la Chine, où le souvenir du méconnu « Massacre de Tianjin » se heurte à des ambiguïtés et traumatismes persistants.

Dans un article consacré à ce tragique épisode, Fleur Chabaille-Wang, docteur en histoire et chercheuse associée à l’Institut d’Asie orientale de Lyon, revient longuement sur les circonstances qui ont mené au massacre d’une cinquantaine de catholiques chinois et français. Nous sommes en 1870, dans la ville de Tianjin, où réside une importante communauté catholique encadrée par des religieuses. Dans la cité, des rumeurs fantaisistes courent sur ces dernières, les accusant d’ensorceler les enfants afin de leur prélever des organes.

À la suite d’un incident diplomatique, la population se soulève et massacre plusieurs dizaines de catholiques, dont une majorité d’étrangers. Associée à la production d’un récent documentaire historique, Fleur Chabaille-Wang constate alors chez ses interlocuteurs les « ambiguïtés persistantes de la mémoire chinoise (qui) reflète une tension historiographique plus générale », ainsi qu’un « profond tiraillement entre la reconnaissance de l’atrocité de l’acte et la réticence à faire preuve de compassion pour les “envahisseurs” étrangers ».

 

Lai Dai Han : la Corée du Sud s’enferme dans le déni

Autre époque, autre pays, mêmes atrocités. Pendant la guerre du Vietnam, les soldats de l’armée coréenne, alliés des États-Unis dans leur lutte contre le Nord Vietnam communiste, commettent des viols de masse sur des femmes vietnamiennes. De ces viols naîtront entre 5 000 et 30 000 enfants, surnommés de manière péjorative les « Lai Dai Han », les « sang-mêlé ». Victime de racisme et d’exclusion, ces femmes et leurs enfants sont toujours rejetés par la société vietnamienne.

Pourtant, 43 ans après la fin de la guerre, la Corée du Sud refuse toujours de reconnaître les agissements de ses soldats au Vietnam. Et se retranche dans un déni coupable. Le ministre de la Défense coréen fait même le choix du négationnisme, lorsqu’en 2013, il déclare par la voix de son porte-parole que « de tels massacres (…) organisés par l’armée coréenne (sont) impossible. Si un incident pareil avait existé, il aurait été exposé et rendu public depuis longtemps. (…) Vu que notre armée a exécuté sa mission sous des règles strictes, il n’y a eu aucune exploitation sexuelle de femmes vietnamiennes ».

Un parti-pris que la réalité, et les témoins ayant vécu à cette époque viennent tragiquement démentir. De nombreux témoignages de victimes, aujourd’hui âgées, apportent encore aujourd’hui un éclairage sinistre sur ces agissements. Et d’anciens soldats sud-coréens confirment eux-mêmes avoir entendu parler, à l’époque des faits, « d’agressions sexuelles brutales dans les zones d’opérations ». Au regard de ces témoignages, la position des autorités coréennes semble donc intenable… et incompréhensible.

 

 

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