L’émir Al Thani à Paris : une occasion de résoudre le conflit au Yémen ?
Le Cheikh Tamim Al Thani, émir du Qatar, est reçu ce jeudi par Emmanuel Macron à l’Élysée dans le cadre d’une visite officielle. Cette troisième rencontre entre les deux hommes en moins d’un an se déroule dans un contexte régional difficile marqué par la guerre au Yémen, symptôme des fortes tensions entre l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis d’une part et l’influence iranienne dans le Golfe d’autre part. En proposant une sortie de crise au Qatar et ses voisins, le Président français pourrait permettre un apaisement des relations entre les pays arabes, préalable incontournable à la résolution de la question yéménite.
Une conférence qui n’a pas tenu ses promesses
Le 27 juin dernier s’est tenue à Paris une conférence humanitaire portant sur le Yémen. Une coalition menée par l’Arabie saoudite — et dont a été exclue le Qatar — y mène depuis mars 2015 une guerre d’usure au contre la rébellion houthiste soutenue par l’Iran. Le conflit s’enlise avec plus de 10 000 morts, trois millions de déplacés, une épidémie de choléra et la menace d’une famine généralisée.
La conférence de Paris, qui avait pour objectif d’obtenir des engagements concrets en matière humanitaire — particulièrement concernant l’accès de l’aide — a vu ses ambitions réduites d’heure en heure. La mauvaise volonté de la plupart des participants, notamment de Riyad et d’Abu Dhabi, n’a pas facilité le bon déroulement des débats, les représentants des deux pays arguant qu’ils étaient capables de gérer eux-mêmes la question humanitaire.
Répondant sans doute à une exigence de Riyad, les ONG impliquées au Yémen ont quant à elles finalement découvert tardivement que la conférence se tiendrait sans leur participation. Une conférence humanitaire sans humanitaires, donc.
Sans surprise, le bilan de la conférence est donc décevant : le dialogue de sourds entre les tenants d’un discours alarmiste pointant du doigt l’urgence humanitaire absolue et les représentants de la coalition anti-houtiste sûrs de leurs droits, du bien-fondé de leur approche et de l’efficacité de la réponse humanitaire qu’ils affirment apporter n’a pas donné lieu à des annonces concrètes.
La guerre au Yémen, symptôme d’un mal plus profond
Dans ce contexte, le conflit yéménite apparaît comme une énième expression des tensions qui cimentent la région. L’influence de l’Iran, qui s’étend désormais de manière continue de Téhéran jusqu’à la Méditerranée en passant par Bagdad, Damas et Beyrouth, donne des cauchemars aux monarchies du Golfe. La contre-attaque ne s’est pas fait attendre, notamment au Qatar et au Yémen, deux portes d’entrée de l’influence iranienne dans la région.
En effet, depuis l’été dernier, le Qatar est la cible d’un blocus diplomatique et économique de la part de l’Arabie saoudite et de ses alliés. Le petit émirat a vu l’espace aérien de ses voisins interdit à sa compagnie aérien, sa seule frontière terrestre fermée et ses citoyens expulsés des quatre pays adverses. En cause : une accusation de « soutenir l’extrémisme et le terrorisme ».
Cette crise du Golfe restera longtemps une cicatrice douloureuse dans les relations entre les pays arabes de la région. L’émergence de deux camps a bouleversé l’équilibre qui prévalait depuis des décennies entre ces nations, rendant de plus en plus difficile le maintien d’une posture de neutralité.
Néanmoins, dans ce contexte très difficile, le petit émirat tient bon. S’appuyant sur ses larges ressources financières issues de l’exploitation gazière, le Qatar s’est livré en quelques semaines à une refonte complète de son économie, à l’exportation comme à l’importation. De nouveaux partenariats ont été noués en un temps record, de nouvelles plateformes logistiques (ports, couloirs aériens…) ont été mises en places, permettant au pays de résister au blocus économique.
La France, un arbitre en capacité de siffler la fin de la partie ?
Résoudre le conflit au Yémen ne semble donc possible qu’en résolvant la crise dans le Golfe, qui est en tout état de cause devenue une impasse pour le Quartet en raison d’une surprenante résilience du Qatar. Dans cette approche globale, la France a une carte à jouer : le président Macron entretient en effet de très bons rapports tant avec le prince héritier d’Arabie saoudite, Mohammed ben Salmane, qu’avec le parfaitement francophone émir du Qatar.
Du côté saoudien, on affirme qu’Emmanuel Macron est devenu, après une première rencontre tendue en novembre, « plus qu’un allié (…) un ami proche ». Une amitié qui s’est soldée par la signature il y a trois mois de protocoles d’investissements à hauteur de 14,5 milliards d’euros.
En même temps, le président français en appelait, il y a quelques mois, à la levée de l’embargo sur les populations qataries : un soutien pondéré et prudent, mais qui a valeur de soutien au Qatar compte tenu de l’attentisme des Occidentaux, Allemagne exclue. Ce soutien en filigrane de la France au Qatar se justifie par une coopération d’un quart de siècle entre les deux pays concernant à la fois l’économie, la sécurité, le domaine militaire et la lutte contre le terrorisme, mais également la culture et l’éducation.
Forte de cette position, la France s’est proposée tout naturellement pour jouer le rôle difficile de facilitateur dans cette crise régionale. La visite de l’émir permet de réaffirmer la volonté commune de résoudre celle-ci avec le soutien de Paris. Non seulement la France est en échange constant avec les médiateurs que sont le Koweït et Oman, mais elle exerce également des pressions directes pour rétablir un espace aérien commun entre tous les pays du Conseil de coopération du Golfe, aider les familles divisées à se retrouver, et mettre fin à l’embargo.
Une position en accord avec le droit international pouvant potentiellement mettre fin à cette crise enlisée et, par ricochet, à son sanglant avatar yéménite.