Crise du Golfe : le sultanat d’Oman se rapproche du Qatar
La traditionnelle neutralité d’Oman est remise en question par l’attitude agressive de ses deux puissants voisins, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. Une situation qui encourage le sultanat à approfondir ses relations avec l’Iran et le Qatar.
Le mois dernier, une querelle médiatique a éclaté entre Oman et les Émirats arabes unis (EAU) après qu’Abou Dhabi ait organisé un séminaire affirmant que Muhallab ibn Abi Sufra, le dernier dirigeant omeyyade du Khorassan (une région correspondant au nord-est de l’Iran, à une partie de l’Asie centrale et de l’Afghanistan), était d’origine émiratie. Or, tout indique que ce général du 7e siècle était omanais…
Cette discrète provocation a amené Essam Ali al-Rawas, le vice-président de l’Autorité publique omanaise pour l’Artisanat, à déclarer lors d’un entretien accordé à une station de radio locale que « les voisins d’Oman veulent venir à bout de sa patience à leur égard (…) Mais sa patience a des limites ». Une patience déjà éprouvée en janvier dernier, lorsque les autorités émiraties ont exposé au Louvre Abu Dhabi une carte incluant la province omanaise de Musandam au sein de leurs frontières.
Cet agacement exprimé par les autorités du sultanat semble surprenant eut égard à sa tradition de neutralité, mais s’explique par l’évolution de l’attitude de ses voisins au cours de la décennie actuelle.
Neutralité et médiation, les deux constantes traditionnelles de la politique étrangère omanaise
Situé sur le détroit d’Ormuz (où circulent 40 % des hydrocarbures mondiaux), Oman a à sa tête le sultan Qabous qui, depuis son arrivée au pouvoir en 1970, cherche à promouvoir l’apaisement entre les pays de la région.
Cette situation particulière du sultanat ibadite, entre régimes chiites et monarchies arabes sunnites, lui a permis de jouer un rôle clé d’intermédiaire dans les conflits régionaux.
Ce fut le cas lors de la guerre Iran-Iraq, puis surtout lors des négociations secrètes entre Téhéran et Washington qui eurent lieu sur son territoire et qui menèrent à la signature de l’accord sur le nucléaire le 14 juillet 2015. Le sultanat a aussi accueilli plusieurs négociations secrètes dans les récents conflits au Yémen et en Syrie. Oman est d’ailleurs le seul pays du Golfe à avoir maintenu des relations diplomatiques avec Bacahar Al Assad après les printemps arabes, et le seul à avoir refusé de joindre la coalition arabe au Yémen, menée par l’Arabie saoudite.
C’est cette position très indépendante et ces relations très cordiales qu’Oman entretient avec l’Iran — mais aussi avec le Qatar — que semblent de moins en moins tolérer ses puissants voisins.
Rapprochement avec le Qatar dans la crise du Golfe
Les tensions entre le Sultanat d’Oman et les EAU trouvent en partie leur origine dans le démantèlement en 2011 d’une cellule d’espionnage émiratie qui visait directement le sultan Qabous.
L’Arabie saoudite et les EAU considèrent en effet que le sultanat ne prend pas suffisamment en compte leurs préoccupations sécuritaires, et l’accusent notamment de laisser transiter sur son territoire les armes que l’Iran fournirait aux insurgés chiites dans le conflit yéménite.
Une attitude qui peut être expliquée par le fait que les Omanais perçoivent avec beaucoup d’inquiétude les ambitions régionales des EAU (surnommés la « petite Sparte ») dont la présence militaire s’est accrue dans toute la région (dont le Yémen), mais aussi jusque sur les côtes de la Corne de l’Afrique et dans l’océan Indien. Cette fébrilité a encouragé Oman à organiser avec l’Iran des exercices militaires communs dans le détroit d’Hormuz depuis 2014, et à signer de nombreux accords de coopération dans les domaines économique et énergétique.
Sur le plan économique, l’Arabie saoudite et les EAU ont également augmenté la pression sur le sultanat de 4,6 millions d’habitants : « chantage à l’investissement », allongement des délais de conclusion de certains accords, nouvelles contraintes dans le commerce transfrontalier… Les Émirats auraient notamment entravé la construction du chemin de fer reliant Oman aux autres pays du Conseil de coopération du Golfe.
En guise de représailles, Mascate a annulé la licence bancaire de la Bank of Abu Dhabi.
Le secteur de l’enseignement est lui aussi concerné, puisque les diplômes émis par l’université d’Abu Dhabi ne seront plus reconnus à Oman. En revanche, et comme pour mieux signifier le tropisme des autorités omanaises, l’université qatarie Hamad bin Khalifa (l’une des plus importantes de l’émirat) a été incluse dans sa liste des cursus approuvés et recommandés par le ministère de l’Éducation.
Cette proximité avec le Qatar s’est renforcée depuis la crise survenue l’été dernier entre l’émirat gazier et le « Quartet » (Arabie saoudite, EAU, Bahreïn er Égypte), alors même que ce dernier appelait à l’embargo.
Préserver son indépendance au détriment de sa neutralité, tel semble donc être le choix opéré par ce sultanat d’ordinaire si discret.