Publié le : mercredi 20 décembre 2017

Jérusalem, le monde musulman divisé

La reconnaissance de Jérusalem par les États-Unis a profondément divisé le monde musulman, déjà fortement polarisé depuis le blocus décidé cet été par l’Arabie saoudite contre le Qatar.

 Le feu couve dans le monde musulman. Depuis la décision surprise, unilatérale et passablement irresponsable de Donald Trump, reconnaissant la ville de Jérusalem comme « capitale éternelle de l’État d’Israël », deux camps s’affrontent ouvertement au sein des pays arabes. En jeu, le statut du troisième lieu saint de l’islam, al-Qods en arabe, mais aussi la recomposition de fragiles équilibres dans un Moyen-Orient plus instable que jamais.

Deux camps s’affrontent

D’un côté, le trio composé par la Turquie, le Qatar et l’Iran mène l’offensive diplomatique contre la décision de l’administration américaine. À l’initiative d’Ankara, qui en assure la présidence tournante, un sommet extraordinaire de l’Organisation de la coopération islamique (OCI), regroupant 57 pays musulmans, s’est tenu le 13 décembre dernier à Istanbul. Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, n’a pas eu de mots assez durs pour condamner le geste de Washington, une décision qui jette de l’huile sur le feu.

De l’autre, un front mené par l’Arabie saoudite et ses alliés, Égypte et Émirats arabes unis (EAU) au premier plan. Assumant un virage stratégique inédit, matant leurs populations respectives sous une véritable chape de plomb — en témoignent les récentes vagues de purges politiques opérées par Riyad —, les membres de ce trio appellent à former une nouvelle alliance avec Israël et les États-Unis contre leur nouvel ennemi commun : l’Iran. Et délaissent, au passage, une cause palestinienne historiquement fédératrice dans le monde musulman, au risque de s’aliéner leurs habitants.

Ceux que les observateurs de la région appellent les « sionistes arabes » jouent donc avec le feu et avec une opinion publique « qui va être tout à fait déchaînée », comme s’en alarmait l’ancien ministre français des Affaires étrangères, Hubert Védrine, le 8 décembre au micro d’Europe 1. Offrant sur un plateau à un Erdogan, en manque de légitimité après son tour de vis sécuritaire en Turquie, le rôle de porte-étendard d’un peuple musulman criant vengeance.

« Nous rejetons et condamnons fermement la décision irresponsable, illégale et unilatérale des États-Unis », est-il ainsi écrit dans le communiqué final de la réunion extraordinaire de l’OCI. « C’est un sabotage délibéré de tous les efforts visant à parvenir à la paix (qui) nourrit l’extrémisme, le terrorisme et menace la paix et la sécurité mondiale », conclut le texte adopté à Istanbul.

Une opposition dans les faits

Cette opposition s’illustre de manière très concrète. Depuis dix ans, le Qatar est ainsi devenu l’un des plus importants investisseurs étrangers dans la bande de Gaza. Le petit émirat aurait octroyé un budget de 1,4 milliard de dollars aux Palestiniens au cours des cinq dernières années, construisant par exemple près d’une centaine de projets à Gaza. Un soutien qui n’est pas que financier, mais aussi éminemment politique : en 2012, le cheikh Hamad bin Khalifa Al-Thani, le père de l’actuel émir qatari, avait été le premier dirigeant arabe à se rendre à Gaza depuis la prise du pouvoir par le Hamas, en 2007.

Du côté de Riyad, le « soutien » est tout autre. L’Arabie saoudite, par la voix du prince héritier Mohammed ben Salman, s’est ainsi fendue d’une inédite « initiative de paix » après la reconnaissance de Jérusalem par les États-Unis : contre toute attente, le jeune prince a proposé au président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, que son peuple se contente du petit village d’Abu Dis, situé dans le Gouvernorat de Jérusalem, pour capitale. Autant dire que sa proposition n’a pas rencontré un écho à la hauteur de ses espérances.

 

La crise du Golfe en arrière-plan

L’opposition entre les deux trios, ou plutôt entre un trio et un quartet, le Bahreïn s’étant rangé du côté de l’Arabie saoudite, s’inscrit en réalité dans un affrontement débuté cet été. Depuis le 5 juin dernier, les pays du quartet ont mis un terme à leurs relations diplomatiques avec le Qatar, et décrété un blocus économique. En cause, le prétendu soutien de Doha au terrorisme et particulièrement aux Frères musulmans, et le rapprochement entre le Qatar et l’Iran honni.

Las, le jusqu’au-boutisme des princes saoudiens semble se retourner contre eux. Faisant fi des exigences « déraisonnables » du quartet, comme la fermeture de la chaîne Al Jazeera ou l’abandon de l’organisation de la Coupe du Monde de football 2022, le Qatar a réussi à sortir son épingle du jeu : importations de milliers de vaches pour palier à la pénurie de lait, rapatriement de 20 milliards de dollars par le fonds souverain Qatar Investment Authority afin de consolider ses banques, obtention en novembre d’un tribunal d’arbitrage au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), chargé de se prononcer sur la légalité du blocus, clôture par l’Organisation internationale du travail (OIT) de la plainte relative au non-respect de la convention sur le travail forcé, raffermissement de ses relations avec la Russie, l’Iran et avec la France, qui lui a vendu 12 nouveaux avions Rafale…

Un temps isolé, le Qatar a donc rapidement redressé la tête et, contre vents et marées, résiste mieux que prévu aux efforts de ses adversaires pour le marginaliser. Quant à ses derniers, ils doivent désormais assumer leurs choix stratégiques controversés devant des opinions publiques plus remontées que jamais.

 

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