Crise du Golfe : un « échec cuisant » pour l’Arabie saoudite
Que ce soit sur le plan économique, social ou encore culturel, Mohamed Ben Salman, le prince héritier d’Arabie saoudite a promis de transformer radicalement son pays d’ici 2030. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que la partie est loin d’être gagnée : la situation économique du pays est toujours inquiétante, les atteintes aux libertés individuelles se poursuivent et l’image du pays à l’international se dégrade, en témoigne le récent blocus imposé sur le Qatar et qui tourne au fiasco.
Avec le lancement du plan « Vision 2030 », le prince héritier saoudien vise à sortir son pays de la rente pétrolière et introduire d’ambitieuses réformes politiques et sociales. Ce dernier souhaite ainsi encourager la diversification de l’économie, un objectif plus qu’audacieux dans un pays où les hydrocarbures représentent près de 90 % des exportations et 70 % des revenus. D’autant que le temps presse : « l’économie saoudienne multiplie les signaux d’essoufflement », affirme Mourad El Bouanani, consultant en géopolitique.
Sur le plan culturel, le jeune prince affirme avoir réfléchi au développement du « divertissement », une activité à laquelle les Saoudiens ne peuvent guère s’adonner aujourd’hui. « D’ici à 2020, il y aura plus de 450 clubs professionnels et amateurs enregistrés proposant une palette d’activités culturelles et d’événements de divertissement », promet « Vision 2030 ». « Ce programme créera un réseau national regroupant des clubs, encouragera l’échange de connaissances et d’expériences internationales et favorisera l’évolution des mentalités concernant les activités de loisirs », poursuit le plan.
La difficile transformation de l’Arabie saoudite
Mais pour le moment, force est de constater que le royaume est plutôt mal parti. Les mentalités ne semblent pas évoluer dans ce pays où pas plus tard que le 22 août dernier un jeune homme de 14 ans a été arrêté par la police pour « comportement public inconvenant » après avoir dansé dans la rue.
Et ce n’est pas tout. Toujours au mois d’août, le chanteur Abdallah El-Sharha a lui aussi été arrêté par la police saoudienne pour avoir « dabbé » — mouvement de danse très répandu chez les footballeurs et qui consiste à mettre son visage dans le creux de son coude, le bras opposé tendu vers l’arrière — pendant un concert organisé dans le sud-ouest du pays, rapporte La Croix.
Le quotidien français souligne également que la condition des femmes « n’a pas bougé » en Arabie saoudite, où ces dernières « restent astreintes au port de l’abaya, vêtement traditionnel qui couvre tout le corps à l’exception des yeux, des pieds ou des mains ».
En juillet, la vidéo d’une jeune femme se baladant en jupe avait d’ailleurs provoqué un véritable tollé dans le royaume. Les autorités de la région de Riyad avaient alors immédiatement décidé de poursuivre en justice le mannequin Khulood, qui avait posté sur ses comptes Snapchat et Twitter la vidéo en question. Sans voile, cette dernière arbore sur la vidéo un simple t-shirt court et une minijupe — une tenue en total désaccord avec les règles strictes imposées aux femmes saoudiennes.
Les atteintes aux libertés individuelles étant monnaie courante dans le royaume, Marc Lavergne, directeur de recherche au CNRS et spécialiste du Moyen-Orient arabe estime que la modernisation annoncée par Mohamed Ben Salman n’est qu’une « sorte de vernis destiné à retenir les entreprises occidentales et les États-Unis, alliés traditionnels de Riyad dans la région ».
Crise du Golfe : symbole de la fragilité saoudienne
Par ailleurs, le blocus contre le Qatar déclenché en juin dernier par l’Arabie saoudite et ses alliés devait être une démonstration de force. Pourtant, trois mois après, force est de constater que l’Arabie saoudite a raté son coup.
Et ce n’est pas les récents agissements qataris qui démontreront le contraire : le 24 août dernier, le petit pays du Golfe a en effet décidé d’envoyer un ambassadeur à Téhéran, soit 20 mois après avoir fermé son ambassade en Iran — un acte de solidarité avec l’Arabie saoudite après l’incendie de son ambassade. Et ce alors que les bonnes relations entre Qatar et l’Iran sont à l’origine du blocus imposé par l’Arabie saoudite.
Aussi, comme le font remarquer de nombreux experts, « si Doha peut se permettre, deux mois et demi après le début de ce blocus, de rétablir ses relations avec l’ennemi chiite iranien, c’est bien que ce blocus est un échec cuisant. Pire : Doha a, pour le moment, remporté la partie ».
Et sur le plan économique, le Qatar ne semble pas non plus perturbé : celui-ci a réussi à faire augmenter ses exportations de gaz de 8 % en juillet par rapport à juillet 2016, et ce malgré le blocus. Le petit pays du Golfe s’est également offert un succès de taille en matière de Soft Power grâce à l’arrivée triomphale de Neymar, la superstar du football mondial, au PSG, vitrine internationale du Qatar.
Enfin, le blocus, que certains qualifiaient de « plus grave crise diplomatique ayant frappé le Moyen-Orient depuis des années », n’a eu qu’un impact « minimal » sur l’organisation du Mondial 2022 par le Qatar. Interrogé par la chaîne Al-Jazeera, le patron du comité d’organisation a confirmé que « les projets avancent dans les temps. Aucun retard n’a eu lieu ». Ainsi, blocus ou non, au Qatar, la vie continue…