Publié le : mercredi 19 juillet 2017

Joseph Kabila doit se souvenir du précédent ivoirien

Kabila KatumbiDes élections présidentielles et législatives doivent se tenir, en République démocratique du Congo (RDC), fin 2017, soit un an après la date initialement choisie, et tel que souhaité par l’ancien président, Joseph Kabila, dont le mandat a pris fin le 19 décembre dernier – ce qui ne l’empêche pas de se maintenir au pouvoir, après avoir fait miroiter à l’opposition un système de cogestion du pays qu’elle attend toujours. Sauf que plus les mois passent et plus la perspective de la tenue des scrutins avant la fin de l’année s’amenuise. En cause : le petit jeu auquel semblent jouer le « pouvoir » en place et la Commission électorale nationale et indépendante (CENI), qui se renvoient sans arrêt la balle en s’accusant mutuellement de repousser les élections.

« Il nous faut de vraies élections »

Pour Sindika Dokolo, collectionneur d’arts africains et opposant congolais, « la CENI et l’exécutif sont maintenant à bout d’arguments », raison pour laquelle « ils vont annoncer qu’il n’y aura pas d’élections » cette année, ni plus ni moins. Mais plutôt que de rester passif, « c’est le moment d’affirmer d’une voix très forte qu’il nous faut de vraies élections », déclarait-il début juillet à la chaîne allemande d’informations en continu, « Deutsche Well ».

Dokolo fait partie d’une petite troupe de contestataires qui n’hésitent pas à taper du poing sur la table pour signifier à Joseph Kabila qu’il doit respecter la plus sommaire des obligations démocratiques. Parmi eux, Moïse Katumbi, ex-gouverneur de la région congolaise du Katanga et extrêmement populaire dans son pays, est même pressenti pour remporter l’élection présidentielle – si jamais elle a lieu. Est-ce la raison de son exil contraint et forcé ? En juin 2016, ce dernier écopait de trois ans de prison dans une affaire immobilière qui, de l’aveu de la juge elle-même, tenait plus de la machination politique que du procès équitable.

Et l’avocat de Moïse Katumbi, Me Eric Dupond-Moretti, qui affirme que la décision qui doit être rendue aujourd’hui, mercredi 19 juillet, sur cette affaire « n’est pas une décision de justice, mais un service », rappelle que cette dernière, actuellement réfugiée en France, « a été amenée à condamner Moïse Katumbi en première instance sous la menace d’une arme ».

Par ailleurs, la nuit dernière, l’un des 3 juges devant se prononcer sur cette affaire, Jacques Mbuyi, connu pour sa grande « indépendance et sa ferme opposition contre toute tentative d’instrumentalisation de la justice » a été la cible de coups de feu, huit au total. Se trouvant actuellement entre la vie et la mort, ce dernier a été remplacé par un autre juge pour que la décision puisse être rendue. Pour bon nombre d’observateurs le message est clair : « voilà ce qui vous arrivera, à vous juges, si vous ne prenez pas la bonne décision, autrement dit, si vous ne condamnez pas Katumbi ».

Ainsi va la vie en RDC depuis quelques mois ; un ancien président qui a perdu toute légitimité – légale et populaire – pour gouverner s’accroche au pouvoir, et s’acharne au passage sur ses adversaires politiques par quelque moyen que ce soit. Dans le même temps, le bruit court à quelques milliers de kilomètres de Kinshasa que l’ex-chef de l’Etat ivoirien, Laurent Gbagbo, incarcéré par la Cour pénale internationale (CPI) pour « crimes contre l’humanité », pourrait être libéré. Etrange concomitance des faits, qui a au moins le mérite d’inviter les responsables politiques congolais à se souvenir du précédent ivoirien.

« Démocratie à la carte »

Petit rappel des faits. Après une élection présidentielle remportée par Alassane Ouattara, le 28 novembre 2010, Laurent Gbagbo décide contre toute attente de conserver son trône. Et ce alors que la communauté internationale – l’Union africaine (UA), la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao), l’Union européenne (UE) et le Conseil de sécurité de l’ONU – a reconnu son adversaire comme étant le seul légitime à gouverner. S’ouvre alors une période de crise qui, de décembre 2010 à avril 2011, sera émaillée d’affrontements entre partisans des deux camps et glissera rapidement vers la guerre civile. Le bilan, 3 000 morts, est désastreux.

Par la suite, Laurent Gbagbo, interpellé à son domicile le 11 avril, sera transféré devant la juridiction pénale internationale et incarcéré à La Haye, où il est jugé pour s’être rendu coupable de « meurtres », « tentatives de meurtres », « viols » et autres « actes de persécution ». Des chefs d’accusation dont il ne veut entendre parler, comme si, après avoir dénié aux Ivoiriens le droit à la démocratie, il déniait aux juges le pouvoir de le sanctionner. A la place, il continue d’accabler la France, principale instigatrice selon lui de sa mise à l’écart politique – ce dont il est plus que permis de douter. Et même si c’était le cas, la raison est-elle suffisante pour transformer une arène démocratique et pacifique en un bain de sang ?

Ne jamais aller à l’encontre de la volonté populaire ; voilà ce que Laurent Gbagbo aurait dû faire. Le premier était d’ailleurs arrivé au pouvoir, à Abidjan, dans des conditions similaires à celles de 2010 : en battant démocratiquement son prédécesseur, le général Robert Guéï, en 2000, et après que celui-ci se fût accroché au pouvoir. M. Gbagbo semble avoir fait le choix d’une « démocratie à la carte ». Par deux fois, la Côte d’Ivoire a souffert de la volonté d’un homme de faire passer ses intérêts personnels avant l’intérêt général.

Moïse Katumbi, premier opposant politique

Voilà ce que Joseph Kabila doit absolument retenir, alors que la RDC glisse petit à petit vers « un régime dictatorial » selon Georges Kapiamba, avocat au barreau de Lubumbashi qui a participé au dialogue entre majorité et opposition. Si l’accord de la Saint-Sylvestre, signé le 31 décembre dernier et qui a mis en place le principe de cogestion du pays, n’est toujours pas appliqué aujourd’hui, « la faute incombe au président Kabila et à sa « majorité » qui font preuve de mauvaise foi ». Pourquoi emploie-t-il des guillemets lorsqu’il évoque la « majorité » ? Car « celle-ci est obsolète. […] En l’absence d’élections, les parlementaires sont hors mandat. Or, c’est ce groupe-ci qui entrave la mise en œuvre de l’accord du 31 décembre 2016, seule issue à la grave crise politique que traverse la RDC ».

Pour l’instant, malgré une vingtaine de morts depuis la fin de l’année 2016, les affrontements restent diffus ; la capitale, Kinshasa, est parfois le théâtre de soulèvements populaires – lors de manifestations ou de concerts par exemple –, rapidement tus par les forces de l’ordre, avec des coups de feu notamment. Si les opposants à Joseph Kabila ont insisté sur la nécessité pour l’opposition de manifester, ils lui ont conseillé de toujours le faire de manière pacifique. Dès le 20 décembre dernier, Etienne Tshisekedi, figure historique de l’opposition congolaise, appelait ainsi sur YouTube à « ne plus reconnaître l’autorité » de M. Kabila et exhorté les Congolais à « résister pacifiquement ».

Idem pour Moïse Katumbi, qui continue, alors qu’il est en exil, d’appeler à la tenue des élections tout en incitant ses partisans à ne pas se laisser marcher sur les pieds. Les manœuvres prises par l’ex-chef de l’Etat à son encontre sont d’ailleurs révélatrices : celui-ci sait qu’il n’a plus beaucoup de chances de se maintenir au pouvoir, c’est pour cela qu’il retarde le plus possible la tenue de la présidentielle. Un sondage publié en octobre dernier, dirigé par le Bureau d’études, de recherches et consulting international (BERCI) et l’Université de New York, indiquait pourtant que le peuple congolais souhaitait le départ de M. Kabila. Et le précédent ivoirien montre qu’on peut difficilement aller à l’encontre de la volonté populaire.

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