Publié le : jeudi 22 décembre 2016

Marché de l’électricité : un retour en grâce de l’ARENH… avant un nouveau désamour ?

Après deux années de désaveu, l’Accès Régulé à l’Électricité Nucléaire Historique (ARENH) revient en grâce auprès des opérateurs alternatifs alors que le prix de l’électricité remonte sur le marché de gros. Censé renforcer l’ouverture du secteur de l’énergie français à la concurrence, ce dispositif souffre de son manque de réactivité aux évolutions des prix de l’énergie. Recours spéculatif plus que mécanisme de compensation, son maintien est de plus en plus contesté.

Une exigence européenne

La Commission européenne a longtemps reproché au marché français de l’énergie son manque d’ouverture à la concurrence. Début des années 2000, elle a enjoint l’Hexagone à rendre son paysage énergétique plus concurrentiel en lui demandant notamment de mettre fin au quasi-monopole dont bénéficiait l’opérateur public Electricité de France (EDF). Mais l’institution européenne a également fait pression sur l’État français pour qu’il compense l’avantage historique d’EDF. Cette injonction a été traduite dans la loi sur la Nouvelle organisation du marché de l’électricité (Nome) de 2010 par la mise en place de l’ARENH. Officiellement entré en vigueur le 1er juillet 2011, ce dispositif garantit depuis plus de quatre ans aux fournisseurs alternatifs – concurrents directs d’EDF – un accès régulé à une part de l’électricité produite par les centrales nucléaires d’EDF à prix garanti.

L’avantage d’EDF vient d’un constat factuel assez simple: l’énergéticien détient l’intégralité du parc des centrales nucléaires françaises. La mesure ouvre donc, pour la concurrence, l’accès à la « rente nucléaire », historiquement bon marché. Plus précisément, les fournisseurs alternatifs peuvent racheter à EDF jusqu’à 100 TWh d’énergie nucléaire par an. Cela représente environ un quart de la capacité de production des centrales. Le tarif de cette transaction est régulé par l’État. D’abord fixé à 40 € par mégawattheure (MWh), il est passé à 42 € le 1er janvier 2012. A titre de comparaison, à cette époque, le prix de marché se situait entre 60 et 80 €, et l’ARENH constituait une réelle opportunité pour la concurrence. Conçu comme temporaire, il était prévu que ce mécanisme de compensation disparaisse fin 2025 au plus tard.

Un recours spéculatif plus qu’un mécanisme de compensation

Mais son abrogation pourrait intervenir plus tôt que prévu. Depuis plusieurs trimestres, ce dispositif n’est plus utilisé par les opérateurs alternatifs, ces derniers préférant se fournir directement sur le marché de gros (marché où l’électricité est négociée, achetée ou vendue, et où les tarifs fluctuent en fonction de l’offre et de la demande) sur lequel le prix de l’électricité a diminué de façon continue en 2014 et 2015 pour atteindre une moyenne à 34,6 € par MWh (tarif bien inférieur à l’ARENH, dès lors plus compétitif). Résultat, au premier semestre 2016, aucun opérateur indépendant n’a eu recours à l’ARENH, a pointé la Commission de régulation de l’énergie (CRE), chargée de superviser les transactions.

Recours spéculatif plutôt que mécanisme de compensation, l’ARENH permet aux opérateurs indépendants d’acheter de l’énergie à prix régulé quand les prix de marché de gros grimpent, et de se rabattre sur ces derniers quand ils passent sous la barre du tarif imposé par la CRE. Et ils ne s’en privent pas. EDF, qui n’avait pas anticipé le désintérêt soudain des fournisseurs alternatifs pour l’ARENH de ces derniers trimestres, a dû revoir ses prévisions budgétaires en urgence. En 2016, l’absence de commande a fait baisser son EBITDA (un indicateur financier qui correspond approximativement à un excédent brut d’exploitation) de pas moins de 125 millions d’euros. Sur les neuf premiers mois de l’année, le chiffre d’affaires du groupe a manqué la cible de 596 millions d’euros, par rapport au niveau projeté. La mesure de rééquilibrage concurrentiel a donc finalement beaucoup plus pénalisé l’opérateur qu’initialement prévu par le législateur.

L’ARENH en voie d’extinction?

Depuis mi-septembre, en raison de l’arrêt de réacteurs nucléaires (21 sur 58) pour contrôles de sûreté, les prix du marché sont repartis à la hausse. Sans surprise, les opérateurs indépendants sollicitent à nouveau en masse l’électricité nucléaire d’EDF. 40,75 térawatts-heure (TWh) d’électricité d’origine nucléaire ont été commandés au groupe public à l’occasion du dernier guichet de souscription pour les trois premiers mois de l’année – sur une limite annuelle, rappelons-le, de 100 TWh. EDF se retrouve donc dans une position délicate où elle doit seule porter les coûts des évolutions du marché. Ce qu’elle n’a pas manqué de soulever, invoquant la répercussion de l’arrêt des réacteurs sur le marché de gros de l’électricité et les effets spéculatifs qui en résultent.

Le code de l’énergie prévoit qu’en cas de circonstances exceptionnelles affectant les centrales nucléaires, les ministres de l’Energie et de l’Economie aient le pouvoir de suspendre l’ARENH. Appuyant la demande d’EDF, la CRE a proposé de durcir les conditions de résiliation du contrat type liant EDF aux fournisseurs rachetant son électricité. « La clause (de résiliation) offre aux fournisseurs un pouvoir d’arbitrage tardif entre un produit de marché et le produit ARENH qui n’est pas cohérent avec le principe de l’annualité du produit », a-t-elle expliqué dans une délibération en novembre dernier. Le ministère de l’Energie a quant à lui rejeté la demande de suspension temporaire de l’électricien public et devant le tollé provoqué par ce refus, Ségolène Royal a promis la plus grande vigilance des pouvoirs publics sur ce dossier, de manière à ce qu’EDF ne soit pas pénalisée. Des promesses pour l’opérateur qui affirme que la pérennité de ce mécanisme menace l’alimentation optimale de ses usagers en électricité durant l’hiver, période de forte consommation.

Difficile de ne pas donner raison à EDF à mesure que l’ARENH apparait de plus en plus déconnecté de la réalité du marché de l’énergie. En effet, s’il permet d’acheter de l’énergie à un prix régulé quand les prix de marché grimpent, il se mue en revanche en véritable outil spéculatif – à des fins de revente avec profit – quand les prix du marché baissent.

Par Henri Gabriel.

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  1. studer dit :

    Quelle ignominie que cet ARENH qui permet à des concurrents d’une entreprise publique (dont le patrimoine appartient à la nation) de profiter du 25% de se produits à prix coûtant ! Aucune autre profession n’a jamais été traitée de la sorte. Car le marché de l’électricité est totalement ouvert depuis le débout des années 2000, et si des concurrents à EDF n’ont pas pris de part de marché c’est parce que le prix du nucléaire était imbattable !
    Depuis 2 ans et la chute des prix du charbon, les centrales qui brûlent ce combustible hautement polluant sont devenue compétitives, et comme malgré la COP21 aucune vraie taxe carbone n’a été mise en place (hypocrisie des Verts !!!), le nucléaire n’est plus aussi intéressant et on délaisse les 25% de production.
    Il est urgent de supprimer ce mécanisme ignoble et hautement injuste, de taxer le carbone si on croit réellement à ses méfaits, et à laisser les différentes filières de production se faire concurrence loyale, sans aucune subvention (payée sous forme de taxes par les consommateurs à l’insu de leur plein gré).

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