Publié le : vendredi 25 novembre 2016

En manque d’oxygène politique, l’Algérie étouffe-t-elle ?

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Qu’est-il advenu de « l’esprit d’octobre 1988 » ? Le 5 octobre de cette année là, le peuple algérien, alors dirigé par le président Chadli Bendjedid, se soulève : parties des quartiers populaires d’Alger, les émeutes gagnent tout le pays. Les institutions, les symboles du FLN (le parti au pouvoir), des ministères et même des magasins sont mis à sac et incendiés par des foules d’Algériens en colère. Ils protestent contre un régime qui impose alors le parti unique, contre son musèlement de la presse et contre la main de fer qui s’abat, de manière systématique, sur toute forme d’opposition politique. La répression sera sanglante et fera, officiellement, plus de 500 morts. Mais le peuple a remporté une victoire : le 23 février 1989, une nouvelle Constitution est adoptée, à plus de 70% des suffrages. Elle proclame le multipartisme et met un terme au règne de la pensée unique. Près de 30 ans après les évènements d’octobre 1988, où en sont le pluralisme et le multipartisme en Algérie ?

Un pas de plus vers la transparence ?

Sur le papier, l’Algérie est un pays qui respecte et promeut la diversité des opinions politiques. Les Algériens peuvent s’exprimer ou s’informer via de nombreux organes de presse. Ils peuvent également militer dans et voter pour plus de 60 formations politiques. La pression des « printemps arabes » voisins a encore été l’occasion, pour la société civile, d’obtenir des concessions de la part du régime d’Abdelaziz Bouteflika. Dernier exemple en date en matière de transparence de la vie politique, la mise sur pied d’une Haute instance indépendante de surveillance des élections (HIISE), dont la présidence de la République a annoncé la création en octobre de cette année. Une structure chargée, officiellement, de « veiller à la transparence et à la probité des élections (…), depuis la convocation du corps électoral jusqu’à la proclamation des résultats ».

Afin de garantir l’impartialité de la HIISE, la présidence a mis les petits plats dans les grands : la loi organique créant cette structure assure, en théorie, « l’indépendance de cette haute instance, sa neutralité et sa nature de représentativité ». En gage de bonne foi, la nomination du président de la HIISE ne peut s’effectuer qu’après « consultation des partis politiques » algériens. Mais la bonne volonté du régime en matière d’ouverture politique semble trouver là ses limites. Les 410 membres de la HIISE sont, tous, nommés par le président de la République. De même qu’en dernier ressort, son président. Un verrouillage institutionnel que dénonce l’opposition.

Une ouverture en trompe-l’oeil

Car le nom du futur président de la HIISE est déjà connu : ce sera Abdewahab Derbal. Ancien cadre du parti d’opposition Ennahda, il a, depuis, rejoint les rangs de la majorité. En d’autres termes, la structure chargée de s’assurer de l’indépendance et de la neutralité des élections sera présidée par un homme de Bouteflika. Dans ces conditions, et alors que les partis d’opposition ne reconnaissent pas la haute instance créée par la présidence de la République, le processus de consultation préalable à sa nomination apparaît davantage comme une pure formalité que comme l’exercice d’une prérogative visant à assoir le multipartisme en Algérie. Une contradiction dans les termes, que n’est pas sans ignorer le pouvoir. Celui-ci aura d’ailleurs le dernier mot quant à la nomination du futur président de la HIISE, et ne s’est pas privé de glisser le nom de celui qui occupera le poste avant même le début du processus de « consultation ».
Rien que d’habituel, pour l’opposant numéro un au président en exercice – depuis 17 ans –, Ali Benflis. Selon lui, si le régime « rompt avec (la) solide tradition (du soliloque), c’est pour des consultations sur la présidence d’une instance dont la performance (…) ne changera rien au cours discrédité des processus électoraux » algériens. Pour celui qui fut un temps Premier ministre de Bouteflika, de 2000 à 2003, la HISS « n’a pour raison d’être que de perpétuer (la fraude) sous de nouvelles formes ». « Notre pays a besoin d’un changement qui lui ouvre de nouveaux horizons », balaie-t-il.

« Confiscation de la volonté populaire »

De nouveaux horizons, c’est également ce que propose un mémorandum rédigé par l’Instance de coordination et de suivi de l’opposition (ISCO), publié au début du mois d’octobre 2016. Un chapitre entier du document est consacré au « recul du pluralisme politique ». Et d’y dénoncer, pêle-mêle, « le refus du régime en place d’accepter le vrai multipartisme, la saine confrontation des idées, l’alternance », ainsi que « l’exploitation du multipartisme, arraché après des décennies de luttes et par les sanglants évènements d’octobre 1988 (…) dans le seul but de soigner son image sur la scène internationale ». L’opposition s’insurge contre les refus d’agrément et les nombreux bâtons mis dans les roues des partis politiques indépendants du régime, la fraude électorale, la fermeture des principaux médias aux partis combattant le pouvoir ou encore le « verrouillage du régime électoral ».

Selon le mémorandum, la révision constitutionnelle du 7 février 2016 fut un « coup » de force. Sous prétexte de renforcer la démocratie, le pluralisme et le rôle de l’opposition, le régime n’a cherché qu’à consolider sa « pseudo-légitimité, sa reconduction et sa pérennité ». « Un dispositif de confiscation de la volonté populaire », au profit d’un régime à bout de souffle. Malgré la chape de plomb qui pèse sur le pays, la société civile algérienne continue d’espérer. Elle sait qu’elle peut compter sur des partis d’opposition responsables, dirigés par des personnalités, à l’instar d’Ali Benflis, dont la stature n’est plus à démontrer. La seule question en suspens est de savoir combien de temps le régime va-t-il pouvoir tenir dans ces conditions. Près de trente ans après les évènements, « l’esprit d’octobre 1988 » pourrait à nouveau souffler dans les rues d’Alger.

W. Hamdane

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