Monténégro : de graves soupçons pèsent sur les élections législatives
Fraude, achat de voix, pression sur les électeurs et même un vrai-faux putsch raté. Les législatives du 16 octobre dernier ont été émaillées d’incidents. Si le rôle exact joué par le pouvoir reste à établir, les soupçons font d’ores et déjà vaciller le régime.
Les allégations d’irrégularités lors des élections législatives au Monténégro se multiplient. Bien que les observateurs de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) soutiennent que « les libertés fondamentales ont été généralement respectées » pendant le scrutin, les formations d’opposition sont de plus en plus nombreuses à dénoncer les tensions et la pression exercée par le pouvoir sur les électeurs.
Au moins 114 plaintes pour « violation de la liberté de choix du vote » ont été déposées au bureau du procureur monténégrin. L’opposition, qui dénonce l’achat de votes, les problèmes de contrôle d’identité et la « propagande grossière » du régime, s’interroge également sur le rôle joué par ce dernier dans le mystérieux « complot » déjoué durant la nuit précédant le vote. Un groupe de vingt paramilitaires serbes, présentés comme des terroristes, a en effet été arrêté. Ils sont soupçonnés d’avoir fomenté un « complot terroriste » pour prendre le parlement et capturer le premier ministre sortant et président du Parti démocratique socialiste (DPS), Milo Djukanovic.
Mais la version officielle ne convainc pas et de nombreux Monténégrins se demandent s’il s’agissait vraiment d’« escadrons de la mort » ou d’un coup monté par le gouvernement de Djukanovic. Le doute est en tout cas suffisamment important pour que l’opposition refuse les résultats du scrutin. « L’opposition a unanimement décidé de ne pas reconnaître le résultat de l’élection à cause d’une tentative de coup d’Etat et de la mauvaise utilisation des institutions nationales, ainsi que la création d’une atmosphère de peur, qui a directement influencé le résultat de l’élection », a déclaré Nebojsa Medojevic, leader de la principale formation d’opposition du pays, le Front démocratique.
Bratislav Dikic, ancien commandant de la police serbe spécialisée dans les actions antiterroristes, fait partie des vingt personnes arrêtées. On a retrouvé sur lui un téléphone portable et les clés d’un entrepôt contenant des armes. Mais il dénonce un coup monté et affirme que ces objets appartiennent à un policier lui ayant proposé de boire un verre de rakija (brandy). M. Dikic répète que les preuves contre lui ont été fabriquées de toutes pièces. Des déclarations qui ne semblent pas complètement invraisemblables pour de nombreux Monténégrins. Le Parti démocratique des socialistes et son président, qui occupe les plus hautes fonctions du pays depuis 1997, sont régulièrement accusés de corruption et de clientélisme.
On se souvient en particulier de l’« affaire de la cassette », un scandale qui avait secoué le pays en 2012. Les médias avaient alors publié les transcriptions des enregistrements audio dans lesquels de hauts responsables du DPS ordonnaient à d’autres membres du parti d’utiliser les ressources et l’argent public pour obtenir davantage de voix lors des élections législatives. Selon les échanges qui avaient fuité, la stratégie du DPS consistait à promettre des emplois et des prêts à ses électeurs et donateurs.
Quatre ans plus tard, les pratiques du régime sont à nouveau mises en cause. Le parti d’opposition URA dénonce l’agression dont a été victime un de ses membres lorsqu’il essayait d’enregistrer des militants du DPS qui proposaient de l’argent aux électeurs. Un autre parti d’opposition, les Démocrates, affirme que des centaines de personnes ont été transportées gratuitement depuis l’Italie et qu’elles ont subi des pressions ou des chantages pour les obliger à voter pour le parti au pouvoir.
D’autres incidents ont été constatés le jour des élections. Une cyberattaque a perturbé les sites web d’importants médias et partis politiques au moment même où l’opposition organisait une manifestation. Et les autorités ont suspendu certains services de messagerie instantanée alléguant que du « marketing direct » illégal avait été constaté. De quoi alimenter les soupçons de l’opposition et de tous les citoyens, qui n’entendent pas se laisser confisquer la démocratie.