Publié le : lundi 4 juillet 2016

Grèce : les électeurs d’Alexis Tsipras se sentent trahis

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Après le précédent britannique, une sortie grecque de l’Union européenne serait extrêmement préjudiciable pour son image et, surtout, sa survie. Pourtant, à force d’entêtement et de manque de volonté, le premier ministre semble ne rien faire pour éviter un tel cas de figure. Les Grecs, et parmi eux des soutiens de Syriza, premiers touchés par cette crise politico-économique, commencent à donner de la voix contre le parti au pouvoir.

Quelque 8 000 personnes se sont rassemblées mercredi 15 juin, sur la place Sintagma à Athènes, pour demander la démission du premier ministre grec. « Les gens sont fatigués des mensonges et de la tricherie du gouvernement », dénonçaient les manifestants. « Ce n’est qu’avec des mensonges qu’ils sont arrivés au pouvoir ». « J’ai voté Tsipras deux fois. Il ne respecte aucune promesse. Ma retraite est divisée par deux, qu’est-ce que je peux faire ? », se demandaient-ils.

Syriza « n’est pas un parti révolutionnaire »

Les Grecs, en effet, ont de bonnes raisons d’être déçus. Malgré les douloureux efforts demandés à la population depuis plusieurs années, le pays ne va toujours pas mieux. Si certains indicateurs financiers se sont stabilisés, ils trahissent une inquiétante stagnation de l’économie. La dette publique grecque représente encore 176,9 % du PIB, un niveau qui n’a guère baissé depuis 2013.

Le PIB national a connu un recul de 0,5 % au premier trimestre 2016, en raison de la faiblesse de la consommation des ménages et des exportations. Pour 2016, la Banque centrale grecque prévoit un PIB en baisse de 0,3 %. Les conséquences sur l’emploi son immédiates. Le taux de chômage en Grèce demeure le plus élevé de la zone euro, même s’il a enregistré une baisse au premier trimestre 2016. 1,2 million de Grecs sont à la recherche d’un emploi, dans un pays qui compte une dizaine de millions d’habitants.

Mais les manifestants qui demandaient le départ d’Alexis Tsipras n’avaient pas que ces chiffres en tête. Si les résultats sont mauvais, les moyens mis en œuvre par le gouvernement sont tout aussi décevants. En pleine crise financière, les électeurs avaient porté au pouvoir la coalition Syriza dans l’espoir de mettre un terme aux réformes imposées par les créanciers du pays. Ils ont confirmé ce choix en septembre 2015, après un référendum qui a vu 61 % des votants soutenir le premier ministre. Mais depuis, le dirigeant a éliminé les plus contestataires de ses partisans et s’est rallié au plan décidé à Bruxelles. « Les gens qui sont ici sont mécontents de ce gouvernement qui était censé être de gauche, mais qui est plus de droite que la droite », expliquait ainsi une femme participant au rassemblement du 15 juin.

Or, pour Philippe Marlière, professeur de science politique à l’University College de Londres, Syriza « n’est pas un parti révolutionnaire », contrairement à ce que beaucoup de personnes, à commencer par ses propres électeurs, ont pu imaginer. « Certes, la grande majorité des militants de Syriza est anticapitaliste, et l’aile gauche est d’une culture marxiste révolutionnaire. Ceci étant dit, dans l’action et la stratégie politiques, Syriza est de plus en plus clairement un parti réformiste radical », analyse-t-il.

Trahison politico-économique

Mais le « tournant libéral » de Syriza a déçu ses électeurs sans vraiment parvenir à rassurer les créanciers de la Grèce. Incapable de tenir ses promesses de campagne, Alexis Tsipras s’est également montré nonchalant à l’heure de respecter les engagements pris auprès de l’UE, le FMI et la Banque mondiale. La Grèce n’a levé qu’environ 3,5 milliards d’euros de recettes de privatisations depuis 2010, alors que l’objectif initial était de 50 milliards. Jusqu’à présent, elle n’a réalisé que 15 % des réformes structurelles pour lesquelles elle s’est engagée vis-à-vis de l’UE. Et le pays ne cesse d’envoyer des signaux inquiétants aux potentiels investisseurs.

Fin mai, les ministres des finances de la zone euro avaient réussi à trouver un accord avec la Grèce sur le versement de 10,3 milliards d’euros dans le cadre du plan d’aide de 86 milliards conclu l’été dernier. Mais voilà qu’une semaine après avoir validé l’accord, Athènes faisait marche arrière et revenait en partie sur ses engagements. Et ce n’est pas le seul exemple. Jusqu’en avril dernier, Alexis Tsipras affirmait vouloir revenir sur la privatisation du port du Pirée (principal port d’Athènes), dont 67 % étaient promis à l’armateur chinois Cosco. Devant les critiques des analystes et autres créanciers du pays, le premier ministre a été obligé de se ranger derrière la voix de la raison, en acceptant de privatiser les infrastructures – une décision jugée bienvenue, l’industrie maritime étant l’un des facteurs de croissance les plus importants en Grèce et nécessitant, pour continuer à se développer, des investisseurs étrangers. Dans la même veine, M. Tsipras – bien aidé dans cette entreprise par son détonnant ministre de la défense Panos Kammenos – a fait part de ses pérégrinations concernant l’unification ou non, la nationalisation ou non de trois chantiers navals, Skaramanga, Elefsis et Neorion, alors que le pays n’en possède pas la propriété. Ce qui a d’ailleurs donné lieu à une bataille juridique entre le réel propriétaire du premier chantier, Abu Dhabi Mar, un armateur émirati, et le gouvernement grec, les efforts de ce dernier pour exproprier l’entreprise n’ayant fait qu’aggraver des litiges existants.

Les Grecs ont donc des raisons d’être déçus. Non seulement ils s’estiment trahis, mais cette « trahison » n’aura pas produit des résultats susceptibles de la justifier. Pour couronner le tout, les électeurs de Syriza ont dû s’habituer à partager le pouvoir avec l’allié qu’Alexis Tsipras s’est trouvé à la grande surprise, voire l’indignation, de tous. Nommé ministre de la Défense nationale à l’issue des élections législatives du 25 janvier 2015, Panos Kamménos est également président et cofondateur du parti de droite souverainiste des Grecs indépendants. Un parti homophobe, xénophobe, anti-immigrés et qui n’hésite pas à attaquer en justice ceux qui accusent ses membres de corruption.

Face à la contestation populaire, Alexis Tsipras appelle les Grecs à la « responsabilité ». Mais il aura le plus grand mal à expliquer ses contradictions en matière de stratégie économique et politique. Pendant ce temps, le désespoir augmente et la Grèce s’enfonce, sur fond de crise européenne.

 

Crédits photo : AFP/Louisa Gouliamaki

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