Un blanc-seing pour la junte militaire thaïlandaise ?
La Thaïlande bénéficie d’une image de marque positive avec les millions de touristes qui viennent chaque année découvrir des paysages magnifiques et une culture d’une exceptionnelle richesse. L’autre côté de la pièce est cependant bien moins reluisant. Junte militaire qui a chassé un pouvoir civil élu démocratiquement, liberté d’expression bafouée, Internet censuré et emprisonnements massifs pour tous ceux qui osent encore faire preuve d’un minimum de sens critique. La Thaïlande s’enfonce dans une dérive totalitaire.
Pays multimillénaire, la Thaïlande a tous les atouts pour réussir à exister dans un monde globalisé où la course à la modernité aiguise les appétits. Cet Etat d’environ 70 millions d’habitants niché dans le Sud-Est asiatique peut appréhender l’avenir avec la certitude que demain sera meilleur qu’aujourd’hui. Toutefois, les faits jouent parfois de mauvais tours et les Thaïlandais sont les otages de coups d’Etat et de régimes dictatoriaux depuis près d’un siècle. Plus de vingt prises de pouvoir antidémocratiques en l’espace de quatre-vingt ans. Un triste record qui n’est pas encore achevé puisque l’armée a cru bon en 2014 de chasser le gouvernement civil issu des urnes pour occuper une place dont elle ne sait que faire.
Arrivée pour des raisons floues (protéger le roi et les institutions), la junte n’a pas tardé à montrer toutes ses limites. Les limites de sa bonne foi d’abord car la prise du pouvoir devait s’achever dès la fin 2014. Un petit exercice antidémocratique de six mois et puis s’en va. Mais malheureusement, les rédacteurs de la nouvelle Constitution tardent à aboutir à un texte satisfaisant et les responsables de la junte ont annoncé qu’ils ne quitteraient le pouvoir qu’en 2017 au mieux. C’est long, surtout que la Constitution de 2007 qui a été balayée d’un revers de la main n’était pas si mauvaise. Ces critiques se sont naturellement fait entendre dans le pays et pour ne pas avoir à faire à des réactions de masse violentes, les militaires ont résolument décidé de prendre le contrôle total de l’information.
Chaque espace d’expression est passé à la moulinette. La presse est censurée et toute incartade aux directives données par le pouvoir est sanctionnée de peine de prison. Fin septembre, l’édition locale du New York Times est restée dans les presses car un article sur la famille royale sentait le souffre, c’est-à-dire qu’une information sur l’état de santé du roi (âgé de 87 ans) aurait pu saper les fondations du régime. S’exposant à une lourde peine pour un article inattaquable d’un point de vue journalistique, l’imprimeur thaïlandais a préféré ne pas imprimer le numéro du New York Times. La censure est devenue si efficace que le monde de la presse au sens large a recours à l’auto-censure. Les sphères cinématographiques ne sont pas épargnées puisqu’un film d’horreur mettant en scène des moines bouddhistes vient d’être interdit par le comité de censure du ministère de la Culture. Les producteurs du film intitulé « Arbat » ont promis de refaire un montage plus adéquat avec les valeurs du pays afin de ne pas « faire reculer la foi dans le bouddhisme » comme le craignent les autorités.
Ces deux exemples sont tout à fait caractéristiques car ils sont liés aux deux totems de la junte : la famille royale et le bouddhisme. Emettre la moindre critique sur le régime (et non pas seulement sur la personne du roi) et sur la religion pratiquée par 95 % des Thaïlandais constitue une attaque inqualifiable qui doit être sanctionnée aux yeux des militaires. Plus exactement, les accusations sont généralement qualifiées de crime de lèse-majesté. Un concept fourre-tout (déjà présent dans la Constitution de 2007 et qui a été « étonnement » épargné par la junte) et qui permet des arrestations arbitraires par centaines.
Les procès kafkaïens se multiplient d’autant plus qu’Internet est devenu la cible numéro un du pouvoir. En effet, pourquoi contrôler la presse et le cinéma si les dizaines de millions d’internautes thaïlandais peuvent s’exprimer librement sur le Web ? C’est ainsi que le moindre message posté sur Facebook ou d’obscurs blogs expose son auteur à des sanctions lourdes. L’ancien ministre de l’Energie Pichai Naripthaphan a tout simplement disparu des écrans radar après avoir mis en ligne une petite pique à l’endroit des autorités militaires. Rien ou presque n’échappe à la censure et le projet de remettre en place une passerelle unique entre le réseau Internet thaïlandais et le réseau mondial est visiblement destiné à assurer une censure plus efficace encore.
La junte a semble-t-il toutes les cartes en main pour faire plier un pays et une population qui n’aspirent qu’au respect des principes démocratiques. La lutte de l’intérieur est plus difficile chaque jour et les pressions de la communauté internationale peuvent à elles seules changer la donne comme ce fut le cas chez le voisin birman. Reste à trouver une figure de l’opposition assez forte et charismatique (à l’image de la Birmane Aung San Suu Kyi) pour incarner le combat en faveur de la démocratie. La lutte ne fait que commencer…