Publié le : lundi 8 juin 2015

La guerre ouverte de la junte thaïlandaise à la famille Shinawatra

Aujourd’hui plus que jamais, la famille Shinawatra se trouve dans le collimateur du régime thaïlandais. Thaksin et sa sœur Yingluck – qui avait repris sa formation politique après son exil – ont fait l’objet de poursuites judiciaires, qui ont permis de les écarter du pouvoir. Ils sont encore très populaires dans les régions rurales du pays, mais leurs idées progressistes dérangent la junte militaire qui règne d’une main de fer. La communauté internationale, prompte à sanctionner dans d’autres cas, se distingue ici par son indifférence coupable, son silence assourdissant. 

Shinawatra

 

Thaksin Shinawatra est en exil, mais a gardé une influence considérable sur la Thaïlande par le biais de ses partisans, les chemises rouges. Une influence que la junte militaire au pouvoir s’acharne à essayer de détricoter, en multipliant les accusations contre l’ancien Premier ministre. Dernière en date : Thaksin est inquiété dans une affaire de lèse-majesté – charge archaïque bien que très sérieuse en Thaïlande. L’homme d’affaires a en effet tenu des propos qualifiés de « dommageables » dans une interview donnée à la chaine de télévision coréenne Chosun Ilbo, propos « mettant en danger la sécurité nationale », selon la junte. Il encourt une peine de prison pouvant aller jusqu’à 15 ans. Son tort : avoir égratigné le régime de transition en place à Bangkok dans une vidéo largement partagée sur les réseaux sociaux thaïlandais, provoquant le courroux du nouveau régime qui contrôle étroitement son image.

Ça n’est pas la première fois que Thaksin fait l’objet des attentions toutes particulières de ce dernier. Au pouvoir entre 2001 et 2006, le milliardaire des télécoms cristallise bien des haines parmi les acteurs traditionnels de la société de son pays. Nouveau riche partisan de la mondialisation, il devint l’adversaire des vieilles familles, son comportement symbolisant pour eux tout ce qu’il y a de plus indécent dans un establishement pétris de valeurs conservatrices. Lors de son passage au pouvoir, il s’est notamment illustré par son souhait de moderniser la société thaïlandaise par le biais d’un capitalisme désireux d’élever le niveau de vie des paysans, en mettant sur pied de généreuses subventions à la culture du riz et un programme de protections sociales – si bien qu’il est encore vénéré dans les régions du nord et du nord-est.

Après un premier mandat, il est confortablement réélu en 2005. S’il a le soutien des urnes, il est finalement renversé en septembre 2006 par un coup d’état militaire, et fuit le pays de peur de se voir emprisonner. Depuis, il est le grand absent de la vie politique thaïlandaise mais sa présence se fait sentir partout. Proprement détesté par certains, adulé par d’autres, il représentait une trop grande menace pour les grandes familles urbaines, traditionnellement aux rênes du pays. Afin d’étouffer l’influence politique de Thaksin Shinawatra, le gouvernement procède notamment au gel de ses avoirs et à une saisie arbitraire d’un milliard de dollars sur ses fonds. Seulement ces mesures ne suffisent pas à le sortir définitivement de l’arène politique, il laisse derrière lui un Zeitgeist d’aspirations et de contestations, une empreinte durable.

Propulsée dans l’arène politique par son frère qui ne peut plus se présenter, Yingluck Shinawatra, forte de cet appel d’air, remporte les élections législatives d’août 2011. Elle devient alors la première femme à accéder au poste de Premier ministre dans le pays, mais aussi, à 44 ans, le plus jeune Premier ministre de Thaïlande. Cette dernière, ainsi que plusieurs membres de son gouvernement sont finalement destitués en mai 2014 par la Cour constitutionnelle du pays. La dirigeante a été reconnue coupable d' »abus de pouvoir », soupçonnée d’avoir transféré un haut fonctionnaire de manière inappropriée à la tête de son parti, Puea Thai. Son jugement étant imminent, elle risque elle aussi une peine d’emprisonnement. Les chemises rouges dénoncent un nouveau « coup d’Etat judiciaire », Thaksin se joint aux plaintes, et la polémique est relancée. S’est-il rendu coupable de lèse-majesté ?

Le crime de lèse-majesté semble s’imposer comme nouveau moyen de censure de la junte en Thaïlande. Le régime militaire transitoire s’oppose avec plus de virulence que jamais à toute forme de changement. Avec un roi mourant depuis plus de 10 ans, la question de sa succession encore délicate – son fils passe pour un irresponsable, mais sa fille, plus jeune, doit lui laisser la main – le système traditionnel est fragilisé. Cela pousse l’actuel régime à refuser toute forme d’opposition – une attitude qui caractérise les régimes autoritaires, prompts à la crispation dans une position de faiblesse. La grande influence de Thaksin Shinawatra – et par conséquent de sa sœur cadette – a été considérée comme une menace, et à ce titre à été éliminée sans autre forme de procès. Et le jugement à venir de l’ancienne Première ministre risque de renforcer les clivages, inévitablement porteurs de violence.

Alors qu’en Thaïlande la situation se fait chaque jour plus critique, il est étonnant de constater que la communauté internationale, Union européenne en tête, reste silencieuse sur le sujet. Il y aurait pourtant tout lieu d’inviter la junte militaire, se prétendant régime transitoire, à s’activer dans l’organisation d’élections libres.  Tout lieu, si elle ne s’empresse pas de le faire, de la menacer de sanctions économiques graduées.

Displaying 1 Comments
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  1. Jacques dit :

    et oui… 19e coup d’état…des milliers de  » disparus « ….et aucunes réactions…

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