Publié le : lundi 16 février 2015

Gilbert Chagoury, portrait du milliardaire dont l’ombre plane au dessus de la présidentielle nigériane

ladiplomatie.frPeu connu du grand public, l’homme d’affaires libano-nigérian a gravi tous les échelons dans le milieu des affaires et de la diplomatie au Nigéria, pour bâtir une fortune de plus 4,2 milliards de dollars et un réseau d’influence dans toute l’Afrique, le Moyen-Orient et les États-Unis. Un carnet d’adresses impressionnant qui l’aide à faire fructifier ses affaires et celles de ses partenaires, et qu’il met aujourd’hui au service de son poulain à la présidentielle nigériane Muhammadu Buhari. Focus sur une éminence grise dont le rôle pourrait une nouvelle fois, très bientôt, s’avérer déterminant. Par Alain Tchombè, chargé de mission développement international, spécialiste de l’Afrique de l’Ouest. 

Premiers pas en politique

Né à Lagos en 1946, Gilbert Chagoury est le fils d’un couple d’émigrants, chrétiens maronites, originaires de Zgharta au nord du Liban. Après des études dans le pays de ses parents et un début de carrière comme commercial au Nigéria, il se lance dans les affaires avec son frère Ronald, plus discret, en construisant à Cotonou (Bénin) une minoterie qui produit aujourd’hui 3700 tonnes de farine par jour. Ceci marque le début d’une grande réussite financière qui aboutira à l’émergence d’un conglomérat de 10 000 employés, Chagoury Group, actif aujourd’hui dans le BTP, l’immobilier, les télécoms, la santé et le tourisme.

Mais cette réussite est néanmoins contrebalancée par des scandales liés à ses activités politiques et diplomatiques. Chagoury a été en effet ambassadeur du Nigéria, et a servi comme conseiller pour plusieurs chefs d’États en Afrique comme le Béninois Mathieu Kérékou et le Nigérian Sani Abacha. Sa collaboration avec ce dernier, putschiste récidiviste, lui a valu quelques démêlés avec la justice au Nigéria (post-Abacha), mais aussi en France, en Grande-Bretagne et en Suisse. Inquiété mais pas condamné, Chagoury s’en sortira sans trop de difficulté.

Chagoury l’incontournable

Cet épisode montre parfaitement les liens qu’entretient ce personnage avec la classe politique nigériane. Tout au long du règne d’Abacha, Chagoury a multiplié les bonnes affaires, en devenant incontournable pour les compagnies occidentales souhaitant investir dans l’oil & gas nigérian. C’est le cas notamment de Total, qui a réussi grâce à lui à décrocher, en 1998, son principal permis au Nigeria, l’OPL 246. La compagnie fera encore appel à lui quelques années plus tard pour l’aider dans le dossier de l’offshore libanais.

Là aussi, Chagoury connait tout le monde, et n’hésite pas à y aller de son petit coup de pouce. Après avoir financé le parti chiite AMAL de Nabih Berri pendant des années, il s’est retourné vers le Général Michel Aoun, quand le gendre de ce dernier, Gebran Bassil, était ministre de… l’Energie. Et depuis quelques temps, il finance Sleiman Frangié, chrétien maronite originaire comme lui de Zgharta, qui est l’un des chefs de la coalition du 8 mars (Hezbollah, Amal, Marada), dans le but, selon la presse libanaise, de fédérer les minorités de la région face à la menace de l’État Islamique. En effet, l’organisation de Chagoury « In Defense of Christians » a organisé en septembre 2014 un grand congrès à Washington, afin de sensibiliser les décideurs politiques et l’opinion publique américaine sur le sort des chrétiens d’Orient. Une réussite totale, couronnée par une audience entre Barack Obama et les chefs des églises d’Orient. Là encore, le carnet d’adresses de Chagoury a fait des merveilles.

« Clinton connection »

L’homme d’affaires a des amis très puissants à Washington : les Clinton. Les relations de Chagoury avec le couple présidentiel remontent aux années quatre-vingt-dix, quand il était le bras droit du président Abacha et l’un des relais des démocrates à la Maison Blanche avec Abuja. S’ensuit alors une relation très amicale, « consolidée » par des participations de lafamille Chagoury aux financements de la campagne de Bill pour son second mandat (1996), de la fondation Clinton et de la campagne d’Hillary pour les primaires démocrates. Gilbert Chagoury aide également l’ex-président à vendre ses conférences un peu partout dans le monde.

En retour, Clinton ne rate pas une occasion pour associer son image aux projets de Chagoury. Comme ce fut le cas en 2013 quand il est allé inaugurer à Lagosson méga-chantier « Eko Atlantic », ou plus récemment, en insistant auprès de David Axelrod, ex-spin doctor d’Obama, pour que son agence AKPD accepte de conseiller le parti nigérian All Progressives Congress (APC) qui a présenté le controversé Muhammadu Buhari comme candidat à l’élection présidentielle de mars 2015. Une intercession qui ne doit rien au hasard : Chagoury est un intime parmi les intimes de Bola Ahmed Tinubu, un des leaders de l’APC et ancien gouverneur de Lagos, fief des Chagoury.

Ambitieux, Chagoury l’est à plus d’un titre. Une cupidité sur laquelle il semble difficile d’apposer une grille de lecture manichéenne. Si l’on peut lui reprocher le caractère intéressé de ses manœuvres, force est de constater que ses nombreuses activités contribuent à faire du Nigéria la première économie africaine, et pourvoient de nombreux emplois. En s’offrant ses services, Buhari n’a pas fait dans la demi-mesure. Quant à savoir sil’activisme de Chagoury suffira à lui faire remporter la présidentielle, après déjà trois défaites, impossible de se prononcer. Les Nigérians décideront le 28 mars.

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